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vés. Elle est longue de 152 kilomètres, et le parcours en est très pittoresque. A partir d’Ajaccio, elle monte lentement, en suivant les sinuosités d’une vallée au fond de laquelle coule le Gravone, et dont les flancs dénudés ne présentent aucune trace de culture ni d’habitation. Quelques maquis se montrent çà et là, parsemant de taches vertes la roche grisâtre. Une forêt de plus laricios couronne le sommet, et s’étend sur les deux versans de la chaîne. Le col qui livre passage à la route, situé à 1,300 mètres au-dessus du niveau de la mer, est, pendant l’hiver, parfois si encombré par la neige, que le service de la voiture publique est interrompu, et qu’il faut ouvrir une tranchée de plusieurs mètres de hauteur pour permettre à un homme à cheval de transporter les dépêches. Un petit fort, habité par un sergent et une vingtaine d’hommes, sert de refuge aux voyageurs en attendant que le passage soit libre. Comme dans les Alpes, des poteaux de 4 à 5 mètres de haut leur indiquent la direction de la route et les empêchent de s’égarer dans les neiges. Le versant oriental présente un aspect moins triste que l’autre; l’horizon en est moins borné, les vallées plus ouvertes, les montagnes moins abruptes et moins désolées ; les hommes eux-mêmes ont une physionomie moins farouche. Avant d’arriver à Bastia, la route traverse une plaine cultivée, et les jardins qui entourent cette ville rappellent les pays civilisés[1].

Si les obstacles matériels ont arrêté l’essor de l’industrie, la législation douanière n’était pas de nature à lui donner la moindre impulsion. La Corse en effet est soumise à un tarif spécial, et la plus grande partie de ses produits fabriqués sont, à leur entrée en France, assimilés à des produits étrangers et traités comme tels. Les produits naturels ou agricoles y sont, il est vrai, presque tous admis en franchise; mais n’est-il pas au moins étrange de voir nos fabricans de drap de Sedan et d’Elbeuf se protéger par la prohibition contre la concurrence des paysans du Niolo? Quels progrès un pays peut-il faire quand on commence par lui enlever tout débouché? On répondra sans doute que la Corse trouve une compensation dans la modération des droits qui pèsent sur les produits étrangers importés dans l’île, et qui sont bien inférieurs à ceux qu’on perçoit sur le continent; mais cet avantage est presque illusoire, puisque

  1. Bien que la route n’ait pas de parapet et qu’elle surplombe presque toujours le précipice, les voitures, attelées de mules ou de petits chevaux, vont presque toujours au galop, et je n’ai jamais entendu parler d’accidens. Voici un trait qui me paraît caractéristique. Un des cochers employés sur cette route, réfugié italien, avait donné au plus mauvais cheval de son relais le nom de Metternich. Obligé de le frapper sans cesse pour le faire avancer, il adressait en imagination ses coups de fouet au ministre autrichien, à qui sans doute il devait son exil.