Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des moutons et produisant une étoffe grossière, à longs poils, connue sous le nom de drap corse, voilà pour le moment la seule manifestation du mouvement industriel. On ne rencontre ni usines, ni fabriques, ni magnaneries. Dans les villes même, il n’y a que fort peu d’artisans, et la plupart des objets usuels viennent du continent; ils sont achetés à la foire de Beaucaire par des marchands qui, ignorant le principe de la division du travail, tiennent magasin des articles les plus divers, depuis le tabac et les allumettes jusqu’aux outils et aux serrures, depuis les fers à cheval jusqu’aux modes et aux chapeaux.

La première cause de cette absence d’industrie est d’abord l’aversion des Corses pour le travail. Comment pourrait-on leur demander de se livrer à un travail de manufacture, quand ils refusent de s’adonner même à celui de la terre? C’est, on l’a vu, à des ouvriers lucquois qu’ils ont recours pour semer et moissonner leurs champs. Chaque année, en automne, ceux-ci arrivent en Corse au nombre de huit ou dix mille. Ce sont eux qui défrichent les maquis, exploitent les forêts, entretiennent les routes, bâtissent les maisons, et, grâce à leur excessive sobriété, ils s’en retournent chez eux au printemps suivant, emportant chacun 200 ou 300 francs, et enlevant ainsi au pays une somme annuelle de 2 ou 3 millions, qui est perdue pour lui sans compensation aucune.

Le second obstacle au développement industriel de la Corse est l’absence de voies de communication. Les villages, situés sur les hauteurs, ne sont reliés entre eux que par des sentiers abrupts, le plus souvent taillés dans le roc et pouvant à peine livrer passage à une bête de somme complètement chargée. Ils sont rarement pourvus de ponts, et quand on rencontre un torrent, c’est à gué qu’il faut le traverser, si la hauteur des eaux le permet. Ce sont, on le voit, des conditions peu favorables à l’échange des produits. Pendant longtemps, il n’a pour ainsi dire existé en Corse qu’une seule route qui fût digne de ce nom, celle d’Ajaccio à Bastia; plus récemment on a construit la route de ceinture, qui, faisant le tour de l’île en longeant le rivage, met les vallées en communication avec les ports d’embarquement; malheureusement, lorsque les cours d’eau qu’elle rencontre sont grossis par les pluies, ils emportent les ponts et interrompent toute circulation.

La première au contraire traverse l’île en écharpe, d’un rivage à l’autre, escaladant la chaîne centrale en un des points les plus éle-