Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’équipage de la goélette, qui courait le plus grand danger. Le temps était affreux; la mer battait le mur du Spa avec une telle violence que les pierres du parapet en étaient disloquées. Le rebondissement des vagues produisait d’ailleurs un roulis que tout autre bateau qu’un canot de sauvetage anglais n’aurait pu supporter un instant. Du haut de la promenade, on pouvait suivre du regard les marins du life-boat et même leur parler. Un tumulte d’émotions et des cris d’angoisse couraient tout le long de la ligne des quais, lorsque les hommes de l’équipage parurent eux-mêmes frappés de terreur. Tantôt le bateau était lancé avec rage contre la barre de pierre, tantôt au contraire il se trouvait précipité dans les cataractes écumeuses. Une terrible convulsion du canot renversa dans la mer le chef de l’équipage, Thomas Clayburn, un brave vétéran qui, entraîné par le mouvement des vagues vers le mur du Spa, fut secouru au moyen d’une bouée de sauvetage. Trois autres hommes furent successivement démontés par des secousses et des soubresauts furieux. La violence des flots arracha les rames de la main des rameurs, qui se trouvèrent ainsi désarmés contre les colères de l’océan. Les malheureux lancèrent alors du bateau sur la promenade des cordes qui, saisies aussitôt par des mains vigoureuses, servirent à remorquer le bateau à travers la houle vers un endroit de débarquement situé à l’extrémité septentrionale du mur. Dès que le canot eut touché terre, les hommes sautèrent dehors avant que la vague se fût retirée. Voyant le danger qu’ils couraient, un grand nombre de personnes s’élancèrent pour leur porter secours. Ici commence une scène de confusion et de désastres où quelques habitans de la ville et deux marins de l’équipage perdirent la vie. L’un périt tué par le choc du canot, qui, se relevant soudain, fut violemment poussé contre le mur de pierre. Il tomba comme tombe un homme mort, la face en avant, et fut à jamais balayé par les flots. L’autre fut noyé : il était le seul qui eût négligé de revêtir sa ceinture de sauvetage. Le life-boat, n’ayant plus personne pour le gouverner, alla se jeter contre les falaises et s’y brisa. Était-ce une défaite? Oui sans doute, et les naufragés de la goélette durent être secourus par un autre moyen de sauvetage, le rocket-apparatus. Il faut pourtant remarquer que, même dans ces circonstances malheureuses, le bateau étonna tout le monde par de rares qualités : il ne chavira point et résista aux chocs les plus impétueux. Les accidens semblent d’ailleurs épargner de plus en plus les équipages de life-boat durant toute l’année dernière, si chargée de tempêtes et de naufrages, l’institution n’a point eu à déplorer la perte d’un seul homme, et l’on compte environ six mille marins attachés aux manœuvres de ces bâtimens.