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un temps câline, cette baie est ravissante : la mer, à l’heure du flux, s’avance en décrivant des demi-cercles écumeux qui s’élargissent et s’apaisent à mesure qu’ils envahissent la grève; mais que les vents d’ouest viennent à souffler, et le spectacle change aussitôt : de même que les chevaux sauvages prennent la fuite devant une prairie en feu, ainsi les coursiers fougueux de l’Océan, disent les marins, se sauvent en présence de ces vents terribles avec des hennissemens, et se précipitent vers la barrière des falaises au risque de s’y briser. Au moment où j’arrivai à Bude-Haven, l’équipage du life-boat venait de remporter une victoire. Le 1er septembre 1863, un vaisseau, le Conflict, avait été vu en mer donnant des signaux de détresse. Il allait de Plymouth à Bristol, quand il se trouva saisi par une tourmente devant le promontoire de Trevose-Head. Les intrépides marins lancèrent aussitôt le canot de sauvetage et ramenèrent à bord le propriétaire du vaisseau. Ce life-boat a d’ailleurs rendu bien d’autres services. Sur toute cette côte, en même temps que de sombres histoires de naufrage, je recueillis des traits d’héroïsme qui honorent l’institution. Près de Padstow, petite ville de pêcheurs, la brigantine Pandema et la goélette Betsy, l’une venant de Plymouth, l’autre de Brixham, assaillies toutes deux par d’affreux coups de vent et par ce que les Anglais appellent une lourde mer (heavy sea), avaient échoué le 18 mars 1862 contre un banc de sable connu sous le nom de Doom-Bar-Sand. Les sables sont les fléaux de ces parages : à terre, ils ensevelissent les églises; en mer, ils dévorent les navires. Le life-boat de Padstow, qui porte le nom du prince de Galles, Albert-Edouard, fut bravement mis à flot et revint tout fier : il avait sauvé treize hommes.

Aux différentes stations du life-boat est attaché un excellent baromètre; les indications journalières de l’instrument sont en outre consignées avec soin sur une carte, en sorte que les marins et les pêcheurs, avant de se mettre en mer, peuvent consulter les divers mouvemens du mercure depuis un certain temps. Ces baromètres sont soumis d’avance à M. Glaisher, savant astronome de l’observatoire de Greenwich. Dans plus d’un cas, de tels diagrammes ont averti les matelots de l’approche d’une tempête qui les eût probablement engloutis, si par ignorance du danger ils avaient eu le malheur de quitter le port. Convaincus d’ailleurs que les violentes perturbations de la mer entrent comme un élément d’ordre dans la constitution générale de notre planète, les Anglais ont, dans ces derniers temps, beaucoup cherché la loi de ces grands phénomènes météorologiques. Leur ambition a été, comme ils disent, de découvrir la charte des vents. L’un des plus intrépides dans cette voie d’observations a été sans contredit l’amiral Fitz-Roy. Son système