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les pasteurs se montraient si tolérans pour le wrecking, la surveillance des gardes-côtes et de sages lois de police ont notablement contribué, avec le progrès de l’éducation, à extirper cet abus.

Les maisons des life-boats s’élèvent naturellement sur les points dangereux de la côte. On n’a eu sous ce rapport en Cornouaille que l’embarras du choix. Les naufrages dans ces mers hérissées d’écueils étaient non-seulement très nombreux il y a quelques années; mais ils avaient encore un caractère particulier de gravité. Un navire s’était brisé en heurtant contre les rochers ou contre les précipices; quel était ce navire? Demandez aux vents, à la mer, à quelques débris insignifians balancés sur l’immensité des vagues. Périr ignoré est, dit-on, périr deux fois; tel a été pourtant le sort de beaucoup de vaisseaux sur les rivages de la Cornouaille dont on n’a jamais su ni le nom, ni la contrée, ni le nombre des passagers à bord. Un jour, c’était un chien de Terre-Neuve qui survivait seul à tout un équipage englouti ; une autre fois un nègre avait réussi à gagner le rivage, poussé qu’il était par le ressac, mais il mourut avant d’avoir pu dire à quel vaisseau il appartenait. La côte nord de la Cornouaille présente surtout à la navigation des obstacles gigantesques. Cette côte ardue se compose en grande partie de roches ardoisières entassées, brisées, submergées dans un sublime désordre. L’ardoise est une formation capricieuse; elle change de caractère et de couleur selon la nature des terrains. Je l’ai vue se développer sur les rivages sud-ouest du Devon avec toute la coquetterie d’une robe de soie glacée d’argent et légèrement ondulée par une fraîche brise. Il est par exemple près du château de Dartmouth, Dartmouth-Castle, une anse profonde et charmante creusée dans cette ardoise délicate. On y descend par des marches taillées dans l’épaisseur de la roche et en traversant un pont de bois jeté entre deux abîmes. Au fond s’étend un fit de sable doré et borné d’un côté par la mer, de l’autre par un cercle étroit de falaises. Au pied d’une de ces falaises, si élégamment coloriées et faisant face à l’Océan, se trouve une source qui filtre dans les veines schisteuses de l’ardoise. Je devrais plutôt dire une fontaine, car en tournant un robinet de cuivre on reçoit dans une coupe de fer fixée par une chaîne une eau fraîche et aussi limpide que le cristal. Cette fontaine est un grand bienfait pour les habitans du voisinage, qui, entourés de tous les côtés par la mer, se trouvent à peu près dans la position de Tantale au milieu des eaux. Aussi, pendant que j’étais couché sur le sable, je vis descendre de toute la hauteur du précipice une jeune fille d’une douzaine d’années qui venait remplir sa cruche à la source. Ceci fait, elle remonta escaladant d’un pied sûr les gros blocs raboteux, sautant de l’un à l’autre, paraissant et disparaissant tour à tour derrière les crêtes