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du roi avait commandé d’une manière si brillante? Une scène très vive, assurent les chroniqueurs du temps, eut lieu à ce sujet entre le roi et le comte de Saxe ; le fils se serait plaint à son père avec une violence extrême, et, menacé d’un emprisonnement dans une forteresse, il serait sorti du palais en toute hâte, aurait fait seller son cheval, et serait allé se cacher au loin dans une des propriétés de sa femme. Nos documens des archives de Dresde ne contiennent, il est vrai, aucun détail à ce sujet. Il est impossible pourtant de révoquer en doute l’espèce de défaveur qui pesait alors sur Maurice de Saxe, et puisque la dissipation des mœurs dans une pareille cour ne devait pas être jugée bien sévèrement, que faut-il penser des incartades de toute sorte auxquelles s’abandonnait le jeune colonel?

Thomas affirme dans son Eloge du Maréchal de Saxe, et tous les historiens ont répété après lui, que Maurice prit part à la mémorable expédition du prince Eugène contre les Turcs en 1717. « Passionné pour la gloire, — s’écrie l’orateur, — avide de s’instruire, partout où il peut vaincre, c’est là sa patrie. Il devient encore une fois le disciple d’Eugène. Ce grand homme affermissait les barrières de l’empire contre ce peuple obscur dans sa source, mais redoutable dans ses progrès, ennemi des chrétiens par religion comme par politique, qui, sorti des marais de la Scythie, a inondé l’Asie et l’Afrique, subjugué la Grèce, fait trembler l’Italie et l’Allemagne, mis le siège devant la capitale de l’Autriche, et dont les débordemens peut-être auraient dès longtemps englouti l’Europe, si la discipline et l’art de la guerre ne devaient avoir nécessairement l’avantage sur la férocité courageuse. Maurice étudia contre ces nouveaux ennemis l’art de prendre les villes et de gagner les batailles. » Traduisez dans la langue de l’histoire ces périodes académiques, il restera ceci : Maurice de Saxe, en 1717, se rendit en Hongrie, où l’empereur d’Allemagne avait réuni sous les ordres du prince Eugène une armée de cent cinquante mille hommes destinée à refouler les Turcs au-delà du Danube. Il assista au siège et à la bataille de Belgrade. Là-dessus, Thomas s’exalte; il aperçoit en imagination son jeune héros écoutant les leçons du prince Eugène; il les répète, il les commente, rien ne manque à l’amplification oratoire, et après ce morceau à la Bossuet, où le double reflet de Turenne et de Condé illumine le front du jeune colonel, il termine ainsi pour couronner l’œuvre : « Telles étaient les leçons sublimes qu’Eugène donnait à Maurice. L’un méritait la gloire de les donner, l’autre celle de les recevoir, et ces deux hommes étaient également dignes l’un de l’autre. » Par malheur, rien de tout cela n’est exact. Maurice n’est pas allé en Hongrie, quoiqu’il ait sollicité avec ardeur un régiment pour le conduire à Belgrade. Nous savons au contraire, par les ar-