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nots est de se relever d’eux-mêmes en vertu d’une puissance automatique. Pour bien apprécier cet avantage, il faut savoir que l’art nautique n’a point encore découvert de moyens victorieux pour empêcher qu’un vaisseau ne chavire par suite de certaines violences de la mer ou par toute autre cause. Jusqu’en 1852, ceux qui cherchaient à animer les bateaux d’une force en quelque sorte personnelle de redressement, ou, comme disent les Anglais, de self-return, étaient accusés de chasser aux fantômes. Et pourtant dans toute la Grande-Bretagne les enfans avaient depuis longtemps entre les mains un jouet, appelé tumbler (saltimbanque), qui, en quelque position qu’on le place, se relève obstinément. Les mêmes lois physiques appliquées à un bateau en mer ont donné le self-righting-boat. Ce dernier, après avoir été renversé sans dessus dessous se retourne de lui-même ainsi qu’un poisson vivant qu’on aurait posé sur le dos. Les hommes de l’équipage, culbutés dans la mer, regagnent alors le canot, qui, un instant humilié, mais indomptable, se retrouve tout prêt à continuer la lutte. Quel est le secret de cette propriété merveilleuse? Tandis que la proue et la poupe du life-boat surgissent en quelque sorte ballonnées d’air atmosphérique, une lourde quille de fer traverse toute la longueur du bateau et le fixe en le lestant sur son centre de gravité. Grâce à cette opposition entre la pesanteur de la quille et la légèreté des deux extrémités du canot, ce dernier revient opiniâtrement à sa position normale au milieu des mers les plus bouleversées. Le troisième caractère d’un life-boat est l’épuisement immédiat de toute l’eau tombant à bord, ce que les Anglais appellent self-dîscharge of water. Le mot self indique assez que le bateau fait tout cela par lui-même : il remplit cette fonction au moyen de divers appareils. Un des plus curieux est une série de tubes très courts placés dans le fond du bateau et bouchés par des valvules ou soupapes mobiles. Ces soupapes, fermées par le bas, résistent à l’eau inférieure de la mer sur laquelle pose le fond du canot; mais elles s’ouvrent au contraire avec une sorte de liberté d’action pour livrer passage aux eaux supérieures embarquées dans la carène. Tour à tour plein et vide, le bateau de sauvetage fournit ainsi une imitation heureuse du tonneau des Danaïdes.

Non content de visiter en quelque sorte le life-boat chez lui, je désirais beaucoup le voir lancer à la mer. Il me fallut attendre quelques jours. Le canot de sauvetage manœuvre une fois tous les trois mois afin d’exercer les hommes de l’équipage. Ces derniers se composent de deux patrons, coxswains, et de six rameurs, oarsmen[1].

  1. Le nombre des rameurs varie beaucoup, selon la taille et les dispositions du life-boat; il y a quelquefois dix, douze et même quatorze rames.