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les Polonais, dont les rangs venaient tomber tour à tour devant cette redoute si bravement défendue, se décident enfin à battre en retraite, laissant seulement quelques sentinelles pour investir la place. Maurice avait perdu trois hommes, et presque tous les autres étaient blessés; lui-même avait reçu un coup de feu à la cuisse. Pouvait-on compter le lendemain sur une résistance aussi solide de la part d’une poignée d’hommes mutilés? Il faut ici un coup de main exécuté avec la promptitude de la foudre. La nuit venue, quand on les croit endormis, quand les gardes eux-mêmes commencent à céder à la fatigue, le comte et les siens, armés jusqu’aux dents, s’élancent hors de la maison, massacrent les sentinelles, s’emparent des chevaux, leur mettent l’éperon dans les flancs, et, gagnant la forêt prochaine, sont bientôt à l’abri des poursuites.

Au milieu de ces actes d’héroïsme, Maurice de Saxe devait se livrer par instans à de singuliers excès, car nous voyons par les archives de Dresde que les accusations les plus graves pesèrent sur lui en différentes rencontres. Aussitôt la guerre finie, il se jetait dans les aventures de toute sorte, et de là bien des choses qui pouvaient scandaliser même la cour de Frédéric-Auguste. La femme du maréchal de Loewendal ayant essayé de le défendre contre je ne sais quel grief dont se plaignait amèrement le chef du cabinet saxon, M. le comte de Flemming, celui-ci répondait : « Je crains que, par une flatteuse complaisance pour lui, vous ne le gâtiez et ne détruisiez ce qu’il y a encore de bon en son naturel. » Ce qu’il y a encore de bon en son naturel ! Voilà un langage bien dur, si l’on se rappelle surtout ce qu’étaient les mœurs publiques. dans ces cours de Saxe et de Pologne. Et ce n’était pas seulement le comte de Flemming qui parlait ainsi, c’était le roi lui-même, puisque la comtesse de Kœnigsmark, précisément à cette époque (mars 1716), était obligée de justifier son fils auprès du roi et lui adressait la lettre que voici : « Depuis l’enfance du comte, je me suis étudiée à connaître son cœur; je n’ai jamais remarqué aucune mauvaise inclination, ni entendu dire de ma vie qu’il eût fait une mauvaise action... Si j’en dois croire plusieurs rapports de l’armée, il a fait son devoir au possible pendant cette campagne[1]. » Malgré les éclatans souvenirs invoqués ici par la comtesse, le comte de Saxe eut la douleur de perdre son régiment, et comment ne pas voir là une preuve nouvelle du mécontentement excité par ses désordres? Le comte Flemming ayant décidé le roi à opérer une réduction dans l’armée saxonne, on tira au sort entre plusieurs régimens pour savoir lesquels seraient licenciés; ne pouvait-on mettre à part celui que le fils

  1. Nous citons le texte même de la comtesse de Kœnigsmark, qui écrivait ses lettres en français.