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par l’autre, — excellent surtout en ce qu’il dispense de payer tribut à aucun des deux. Depuis bien des années, une commission mixte où figurent des officiers anglais et russes s’occupe à dresser une carte qui, en fixant définitivement les prétentions contradictoires des deux pays, détruise ainsi une cause perpétuelle de conflits et d’irritation.

Tandis qu’on cherche un remède à cet abus local, dont la destruction laisserait en pleine vigueur beaucoup d’autres élémens de discorde et de ruine, la politique de la Perse reste celle de tous les pays où la civilisation chrétienne vient entraver inévitablement, par ses exigences de plus en plus pressantes, le mécanisme élémentaire des gouvernemens orientaux. Ni les peuples dont nous voudrions améliorer la destinée, ni les gouvernemens auxquels il nous conviendrait d’assurer une certaine stabilité provisoire, ne comprennent nos mobiles et nos vues. Si quelque pacha turc ou quelque gouverneur persan s’avise d’y conformer l’exercice de son autorité, s’il supprime ce qu’elle a de plus antipathique à nos habitudes, — la bastonnade par exemple, — loin de lui en savoir gré, on le méprise; sa modération passe pour faiblesse, et il ne tarde pas à s’apercevoir que, dans un état où tel ministre en faveur porte encore à la plante des pieds la trace d’une correction infamante, il n’est pas permis de tenir pour inviolable l’épiderme du premier venu. Averti par l’insolence, l’indocilité toujours croissante des subordonnés qui l’entourent, il revient à regret, mais il revient infailliblement au seul procédé qui leur fasse reconnaître l’autorité dont il est investi. « Nous sommes habitués à être battus; si vous vous abstenez de nous battre, nous tirons de là cette conclusion que vous ne pouvez, que vous n’osez pas vous le permettre, et nous regardons dès lors comme assez humiliant qu’on ait placé au-dessus de nous un personnage de si mince valeur. » Ainsi parlait un vieillard à un fonctionnaire persan quelque peu entiché des idées européennes. Celui-ci, converti sur place et voulant lui témoigner combien sa logique l’avait touché, le lit immédiatement passer par les verges. Voilà du moins l’historiette que nous raconte, en la donnant comme très authentique, l’ingénieux auteur des Persian Papers. Le même écrivain a aussi consigné dans un dialogue imaginaire ce qu’il pense des politiques avec lesquels sa position le mettait en rapport. L’un des interlocuteurs, — un diplomate anglais qu’il désigne sous le nom générique de sahib Smith, — déplore avec amertume, devant je ne sais quel notable courtisan du shah, le malentendu qui depuis plusieurs années tend à aigrir les rapports de leurs deux gouvernemens. L’autre, — Boosey-Khan, — dans un accès de franchise inusitée, cherche à le lui faire comprendre.