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était un protégé, un pensionné de l’Angleterre; elle n’avait en apparence qu’un mot à dire pour qu’il reprît le chemin du Caboul, et ce mot devait lui être dicté par le désir bien naturel de faire oublier à la Perse l’humiliation d’une défaite encore récente. Pourtant, et malgré cette puissante considération, malgré les tendances nettement dessinées de ses agens diplomatiques, l’Angleterre craignit ou sembla craindre de s’aliéner les belliqueux Afghans, et après quelque hésitation refusa définitivement d’intervenir, même comme arbitre-conciliatrice, dans la question soulevée par le siège d’Hérat.

Cette décision fut notifiée le 18 novembre 1862 au prince gouverneur du Khorassan par le secrétaire de légation, qui venait d’être promu aux fonctions de chargé d’affaires et qui repartit en cette qualité pour Téhéran, sans même avoir vu Dost-Mohammed[1]. Ce trajet qu’il avait fait trois mois auparavant en butte à des chaleurs insupportables, il le recommença dans des conditions nouvelles, par un froid de Sibérie, sous des pluies torrentielles, ayant à ses trousses, outre le terrible fantôme des bandits turcomans, celui des « tempêtes de neige » (burrân) qui ont mainte et mainte fois englouti, sur ces routes funestes, le voyageur assez imprudent pour les affronter. Parti de Khalandarâbad le 20 novembre, arrivé dans la capitale de la Perse le 9 du mois suivant, il avait du moins, pour tenir tête aux misères de ces vingt journées, les dédommagemens de l’ambition satisfaite. Tant de fatigues et de souffrances allaient être récompensées ; aux travaux anonymes et méconnus d’un agent subalterne allait succéder l’action directe d’une influence bien établie et bien reconnue. Hélas ! ces flatteuses chimères lui masquaient une amère déconvenue. A peine installé dans ses hautes fonctions et lorsqu’il attendait de ses supérieurs les témoignages de satisfaction qu’il pensait avoir mérités en faisant régler coup sûr coup les deux affaires les plus épineuses de la mission, — celle de la ligne télégraphique et celle de Mir-Ali-Naki-Khan, — il reçut, le 2 février 1863, l’ordre de quitter Téhéran. Ce rappel imprévu, dont il ne nous fait pas connaître les causes, arrêta court les travaux auxquels il se livrait déjà pour hâter la solution d’une question qui intéresse la paix de l’Orient. Il y a, paraît-il, sur les districts limitrophes de la Perse et de la Turquie, des tribus pastorales qui passent alternativement l’hiver dans les plaines turques, l’été dans les montagnes qui bordent l’Iran, et ne manquent pas de se dire tour à tour sujettes du sultan lorsqu’elles résident sur un territoire soum.is au shah, sujettes du shah lorsqu’elles résident chez le sultan, excellent moyen pour elles de n’être gouvernées ni par l’un ni

  1. Une fois en route, il écrivit à ce prince (déjà frappé du mal qui allait l’emporter dès le lendemain de la prise d’Hérat) pour lui recommander de fermer aux Turcomans les passes dont sa conquête allait le rendre maître.