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tage, tels sont les principaux traits du tableau. Voici, maintenant que nous les avons rassemblés, l’incident particulier auquel ils prêtent une partie essentielle de son intérêt :


« Le 16, vers onze heures du matin, le mashir m’envoya un serviteur de confiance pour me prier de l’aller voir et m’annoncer qu’il comptait me montrer le haram ou sanctuaire. Je supposai naturellement qu’il s’agissait, — ainsi qu’avait fait le fils de l’imam-jumah[1], — de me procurer à bonne distance l’occasion d’examiner les dehors de la mosquée; je savais en effet de quelle furieuse jalousie les Meshidis entourent le temple de l’imam Riza; elle va jusqu’à interdire l’accès des abords de cette mosquée à tous autres qu’aux vrais croyans : regardés comme faisant partie du bast ou saint des saints, ces abords mêmes sont un asile inviolable pour le criminel ou le débiteur qui s’y réfugie. Le chemin direct de ma résidence à la maison occupée par le vakil britannique traversant sur une longueur de quelques pas ce terrain sacré, j’étais obligé de prendre un détour assez long, car le vakil m’avait prévenu que, si je mettais le pied dans le bast, je risquais d’offusquer la population et de provoquer des troubles où ma vie pourrait se trouver compromise. Je n’imaginai donc pas que le mashir voulût nous exposer, lui et moi, aux plus imminens périls en me conduisant jusque dans le temple même.

« Ce fut dès lors sans aucune arrière-pensée que j’allai passer trois heures consécutives chez ce brave homme, la conversation roulant sur mille sujets divers dont aucun n’avait trait à la réalisation de sa promesse... Le jour baissait néanmoins, et je m’étonnais que le vieillard parût avoir si complètement oublié ce qui concernait la mosquée. — Peut-être, pensais-je, veut-il simplement me faire admirer de quelque fenêtre les illuminations du jeudi soir[2]. Tout à coup le mashir se leva. — Voici, me dit-il, le moment venu de nous mettre en route... Au bas des degrés; je trouvai une foule de serviteurs et d’assistans, deux cents personnes, ou peu s’en faut. Nous traversâmes la cour, puis plusieurs couloirs, et, gravissant quelques marches, nous pénétrâmes dans une enfilade de pièces jadis décorées avec une certaine magnificence. Là mon guide fit halte un moment, et je pus remarquer que les gens de sa suite, parlant à voix basse, paraissaient fort agités, fort troublés. Riza particulièrement[3], homme de courage, mais d’une dévotion outrée, était devenu tout pâle. Cependant le mashir se remit en marche, un rideau s’écarta devant nous, et je me trouvai tout ébloui, au sortir de ces ténébreux corridors, par le vif éclat au sein duquel nous passâmes brusquement. — « Grand Dieu! m’écriai-je in petto, après le premier moment de stupéfaction, serait-il vraiment possible?... Nous voici dans la grande mosquée!... »

« Nous y étions en effet. Nous venions de nous glisser dans une espèce d’alcôve à dix pieds du sol, au centre d’une des quatre parois du temple magnifiquement illuminé par les ordres exprès du mashir. L’enceinte re-

  1. Le «grand-prêtre » de Meshid.
  2. Le jeudi soir ou plutôt le vendredi, suivant la manière de compter usitée en Orient, est le jour férié, le dimanche des sectateurs de Mahomet.
  3. Riza était le valet de chambre et le factotum du diplomate anglais.