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covite sur ces tribus nomades. La Russie exploite d’ailleurs en ce moment les circonstances qui ont semblé l’affaiblir. La ruine des ambitieux projets qu’elle avait sur la Mer-Noire et ses récens désastres en Crimée ont apaisé les soupçons et calmé les terreurs qu’elle inspirait à l’Angleterre; elle peut donc mûrir ses plans tout à l’aise, sans craindre qu’ils attirent l’attention, et l’heure venue, le monstre n’aura qu’à refermer ses mâchoires gigantesques pour faire de la Caspienne un lac russe. »

A un tout autre point de vue, l’occupation du port d’Ashuradah peut servir au développement commercial de l’empire des tsars. En jetant les yeux sur les cartes récemment dressées, on verra qu’une triple série de canaux unit maintenant la Caspienne à la Baltique. Ce sont ceux qui vont de la première de ces mers à Tver et au lac Ladoga : la Vyashnevolotskia, la Tiekvinskaya et la Mariinskaya. Le coton de la Perse, pour le moins égal à ceux d’Amérique (sauf toutefois le sea-island), pourrait donc arriver par voies navigables, — et, sans aucun transbordement onéreux, — d’Ashuradah, où il coûterait 3 pence ½ la livre (0,36,47) en Angleterre, où, tous frais payés, on réaliserait encore, en le vendant 1 shilling, des bénéfices notables.

Une des curiosités d’Asterabad, que le diplomate anglais visita tout à loisir avant de reprendre la route de Téhéran, est l’ambar (la prison) dans laquelle sont détenus les Turcomans capturés les armes à la main, en attendant que le bourreau vienne les réclamer. Il vit, formant un horrible tas au coin de cet affreux réduit, quarante et une têtes bourrées de paille et séchées au soleil. Entre le gouverneur persan d’Asterabad et les hardis brigands qui viennent sans cesse rôder autour de la ville existe un continuel échange d’attaques et de surprises; mais les Turcomans comptent beaucoup d’amis parmi les habitans, et sont presque toujours avertis en temps utile des expéditions projetées contre eux. Souvent même les troupes régulières qu’on leur oppose, trahies par leurs guides, arrivent harassées dans quelque embuscade où l’ennemi qui les attend a bon marché d’elles.

Sur cette terre, aujourd’hui maudite, on rencontre à chaque pas les traces de sa splendeur passée. Ashraf, par exemple (à deux ou trois journées d’Asterabad), germe, cité renaissante, à travers les débris de palais immenses habités, à l’heure qu’il est, par quelques centaines de mendians; le Chasmah-Imarat (palais des fontaines), le Chihal-Situn (palais des quarante colonnes), le Sâhib-i-Zâman (seigneur du siècle). Il y a là des jardins dévastés, le Bâgh-i-Harim le Bagh-i-Tappé, dont les arbres, plantés, dit-on, par le grand Shah-Abbas, ont deux siècles et demi d’existence. On retrouve par endroits, sur les murs noircis de ce qui était un boudoir, des ta-