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tiellement nationale, dont la tradition remonte peut-être à l’époque où le Boundchesrh[1] fut écrit, autant vaut dire avant ce Ke-Kurous qu’Hérodote et Xénophon nous ont révélé sous le nom de Cyrus. C’est une grande journée pour les habitans de Téhéran. Le roi quitte de bonne heure sa capitale, suivi de ses ministres et de ses principaux courtisans, pour aller passer la revue de toutes les troupes qu’il a pu réunir. Le cortège royal ne manque pas d’une certaine majesté; mais les manœuvres en revanche laissent beaucoup à désirer sous le rapport de l’exactitude et de la précision. L’auteur anonyme des Persian Papers se raille fort agréablement des efforts désespérés que font les instructeurs venus d’Europe pour mettre un peu d’ensemble dans les évolutions guerrières. Il les représente galopant tout en sueur sur le front des escadrons et criant à tue-tête des commandemens inintelligibles, puis se lassant de ces tentatives inutiles et venant exécuter sous les yeux du shah les prouesses d’équitation qu’ils apprirent jadis dans les manèges de Hongrie et de Bohême, « pour montrer, ajoute-t-il, ce que feraient les professeurs d’Allemagne, si seulement, — ce qui paraît impossible, — ils parvenaient à se faire comprendre. » Le shah cependant, balançant sa belle tête hautaine, semble marquer la mesure des musiques militaires qui lui déchirent les oreilles. Avec une magnanimité, une condescendance toutes royales, il envoie à chacun de ces merveilleux écuyers soit un message flatteur, soit un cheval de ses écuries, soit quelque autre présent approprié à la circonstance, et, malgré la poussière que les vents du mois de mars font voler de toutes parts (le nauroz n’a jamais lieu que pendant l’équinoxe de printemps), tout le monde a l’air fort heureux. La bonne humeur de sa majesté n’est pas difficile à expliquer : le moment est venu pour elle de recevoir le tribut annuel que lui paient ses sujets des frontières et les présens que chaque gouverneur de province est tenu d’apporter au pied du trône. Ces derniers mots ne sont point une métaphore. Le trône est placé, — comme il convient à celui d’un roi de Perse, — sous une tente magnifique dressée en rase campagne. Le prince demeure au camp plusieurs jours, pendant lesquels se succèdent toute sorte de divertissemens, courses de chevaux, luttes d’athlètes, tours de jongleurs, etc. Le « nouveau jour » est d’ailleurs l’époque où la libéralité d’un chacun se donne carrière. Le prince distribue à ses courtisans des robes d’honneur, ceux-ci des gratifications à leurs subalternes; les domestiques enfin reçoivent un supplément de gages qui équivaut, règle générale, à deux mois de service. On s’envoie du sucre, du thé, des confitures. Tout homme qui, dans la ma-

  1. Livre très ancien, mais qui n’existe plus qu’en pelhvi, et qui renferme la cosmogonie des Perses, leur système général du monde et leurs plus anciennes traditions historiques.