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«Le lendemain 1er mars, les troubles se renouvelèrent, et, bien que les portes de la citadelle fussent fermées, plusieurs centaines de femmes, qui parvinrent à y pénétrer, commencèrent à jeter de grosses pierres sur la garnison, incitées en ceci par leurs proches de l’autre sexe, qui, à l’ombre de cette manifestation nécessairement impunie, guettaient l’occasion d’un soulèvement plus sérieux. Cependant le shah était monté dans la grande tour d’où Morier, dans son roman d’Hadjji-Baba fait précipiter la belle Zaïnab, et de là il examinait avec un télescope les progrès de la révolte. Le kalantàr, qu’on venait de voir entrer au palais revêtu d’un costume magnifique et suivi d’un long train de serviteurs, se rendit auprès du souverain, qui lui reprocha sévèrement d’avoir laissé naître et grandir un pareil tumulte. Le kalantàr se fit fort de l’apaiser aussitôt, et, redescendu au milieu de ces femmes, à la tête de ses domestiques, il frappa plusieurs d’entre elles avec un énorme bâton dont il s’était muni. L’une de celles qu’il avait blessées courut jusqu’aux portes de la mission anglaise, où, faisant parade de ses vêtemens ensanglantés, elle demandait du secours. Ses compagnes continuant à réclamer justice et à montrer partout la trace des coups qu’elles avaient reçus, le shah fit comparaître le kalanlàr, et l’apostropha de ces mots : « Si devant mes yeux tu te permets envers mes sujets des cruautés pareilles, quels ne doivent pas être tes crimes cachés! » Puis, se tournant vers sa suite : « Bâtonnez cet homme, reprit le monarque, et rasez sa barbe!» Tandis qu’on exécutait cette sentence, le mot décisif tomba des lèvres royales : « tanat (la corde)!» c’est-à-dire «qu’on l’étrangle.» Une seconde après, le cordon fatal était passé au cou de la malheureuse victime, et les pieds de ses bourreaux, comprimant sa poitrine, en faisaient sortir le dernier souffle de vie. A la même heure, les kadkhudas ou magistrats municipaux de tous les quartiers de Téhéran recevaient une bastonnade publique, et devant ces châtimens, qui lui donnaient satisfaction tout en le frappant de terreur, le peuple s’apaisait comme par miracle. Dieu seul peut savoir combien il s’en fallut ce jour-là qu’une révolution complète ne vînt bouleverser la capitale et le royaume tout entier.

«Dans la matinée suivante, on vit le shah se montrer vêtu d’une robe rouge, indice des mesures sanglantes qu’il voulait adopter au besoin, et plusieurs autres personnes furent soumises à divers supplices, si bien que le populaire, malgré l’agitation qui subsistait encore et qui ne demandait qu’à se renouveler, fut définitivement tenu en respect. Il y eut néanmoins quelques réunions tumultueuses dans lesquelles l’imam-jumah ou grand-prêtre faillit être étouffé par la foule, du sein de laquelle on le retira complètement évanoui. Un des projets de la multitude consistait à partager en deux corps les femmes de Téhéran, qui se porteraient à la fois chez l’envoyé d’Angleterre et chez le ministre russe pour leur demander de faire auprès du shah une démarche collective dont le résultat devait être une distribution d’alimens. Il nous en vint effectivement un certain nombre, dont nous nous débarrassâmes avec toutes les peines du monde, et à qui l’agitation de ces heures critiques avait complètement fait oublier la « règle du voile. »


Le nauroz (nouveau jour), dont il est incidemment question ici, n’a rien de commun avec le culte de Mahomet. C’est une fête essen-