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vingt-quatre heures. » A la tartare veut dire au galop, sans bagages, et presque sans nourriture. Dans l’état où il était, sur des routes détestables et avec les chevaux souvent très vicieux que lui fournissait le chappar-khânah (le bureau de poste), il ne pouvait adopter cette méthode expéditive. Le repos qu’il prenait le soir dans quelque sale kharavanseraï, peuplé de mouches et d’insectes plus fâcheux encore, lui était enlevé dès quatre heures du matin par la nécessité de hâter lui-même le chargement du bagage et les préparatifs du départ. Selon qu’il faisait plus ou moins chaud, on allait plus ou moins vite, on fournissait des traites plus ou moins longues, chacune de trois à six farsakh[1]. Ce fut ainsi qu’après beaucoup de fatigues, quelques inquiétudes (les routes n’étant pas absolument sûres), et sans avoir couru néanmoins aucun danger réel, sinon d’être mordu par les tarentules, les scorpions ou les punaises de Miyani (argas persicus), dont la piqûre passe pour mortelle, il arriva le 23 octobre à sa destination finale.

Sur une vaste plaine semée de cailloux, une muraille en terre, haute de vingt pieds, entoure un périmètre d’environ quatre milles où dans des « huttes de boue » fourmillent et pullulent cent mille habitans. Telle est la nouvelle capitale de la Perse, — un camp plutôt qu’une ville, — choisie par les souverains et préférée aux antiques splendeurs d’Ispahan, sans autres motifs que sa situation militaire au centre de la ligne où doivent être réunies les forces défensives du pays, et dans le voisinage des montagnes où peuvent se recruter parmi des tribus belliqueuses ses soldats les plus valeureux. Point de lacs, point de rivières, point de forêts; au nord-est de la cité, seulement la chaîne des monts Elburz, véritables murs de titans, remparts de dix mille pieds, et que domine à l’une de ses extrémités le pic du Démavend, portant sa cime deux fois plus haut. L’enceinte franchie, vous êtes dans des rues étroites et encombrées sur lesquelles empiètent les degrés des maisons et se projette l’ombre des toitures en relief. Là grouille et glapit un peuple tumultueux et bavard; la circulation y devient un véritable problème. Les bêtes de somme, aiguillonnées par d’insoucians conducteurs, renversent ou collent à la muraille l’imprudent qui se laisse aller à quelque rêverie. L’âne chargé de glace, la mule pliant sous son double faix de bûches et de fagots, le chameau bossu qui sert de base à toute une pyramide de bagages, passent sans s’occuper des obstacles que la foule peut offrir. Avec moins de cérémonie encore, les coureurs ou messagers du shah, signalés par leur livrée rouge, leurs pantalons courts, leurs guêtres brodées, leurs bonnets pailletés de clinquant, la dispersent à coups de canne. Ce cheval

  1. Le farsakh compte pour trois milles et demi, mesure anglaise.