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dans l’esprit le souvenir des poésies et des contes d’Orient. Où sont ces jardins de roses peuplés de rossignols, ces vignes fertiles célébrées par le poète Haliz, ces frais bosquets, ces eaux courantes, ces palais d’été où, comme Horace à Tibur, il contemplait les pâles réalités de la vie à travers le prisme doré d’un flacon de Chiraz? A des montagnes arides et dénudées succèdent des plaines tantôt incrustées d’argile dure, tantôt revêtues d’un sable épais. Au début du printemps, au mois d’avril et de mai, sous l’influence bienfaisante des pluies qui tombent alors à torrens, le pays se colore de quelques teintes plus douces; l’herbe pointe çà et là parmi les granits et les graviers, mais aux premières chaleurs d’été tout se dessèche, le sol reprend sa livrée uniformément prune ou grise. L’eau manque à la culture, qui dans les meilleurs districts forme à peine quelques oasis dispersées. Autour des villages seulement, et le long des rares cours d’eau, se maintient une végétation insuffisante; dans le premier cas, ce sont des arbres à fruit, et dans le second ceux qui fournissent la petite quantité de bois de charpente que réclame la construction des bâtimens : le shinar[1] majestueux, le peuplier élancé, le noir cyprès qui, lorsqu’ils viennent à se grouper, ajoutent à la tristesse de ces immenses plaines grisâtres celle de leurs sombres massifs. Dans ces vastes espaces, quand l’œil les parcourt du sommet de quelque montagne, rien qui arrête ou repose le regard. Une fois le printemps passé, les champs cultivés se confondent avec ceux que la charrue a laissés en friche, les villages bâtis en argile avec la terre dont leurs murailles sont faites. Dans ces paysages d’ensemble, une ville, même considérable, trace à peine son relief confus parmi les ruines amoncelées au sein desquelles elle persiste à vivre, et dont l’étendue atteste sa décadence. C’est tout au plus si, en arrivant à la limite de ces plaines monotones, le voyageur les distingue des vastes déserts au seuil desquels elles l’ont peu à peu conduit. Il ne reconnaît ceux-ci qu’à l’éclat miroitant de leurs efflorescences salines qui s’étendent à perte de vue, et d’où jaillit çà et là brusquement quelque massif de roche noire, transformé par la réfraction solaire et prenant tour à tour les aspects les plus fantastiques.

Cette description, dans sa généralité, ne s’applique point à l’Azerbidjân, que le diplomate anglais traversait, toujours en courrier, pour gagner Tébriz, où il arriva le dernier jour de septembre. Trois cent cinquante milles le séparaient encore de Téhéran. Il ne put entreprendre qu’après une halte de quinze jours cette dernière partie du trajet. « Moins affaibli par les fièvres, j’aurais, nous dit-il, franchi cette dernière étape à la tartare, en quatre ou cinq fois

  1. Le platane d’Orient.