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plir. M. de Gersdorff obtint de sa femme que l’immense héritage de Mlle de Loeben ne sortît pas de sa nouvelle famille. Pourquoi livrer tant de trésors à des mains étrangères? N’avait-il pas un neveu tout prêt à les recueillir? En faire profiter un des siens, n’était-ce pas en quelque sorte les confier à un dépositaire? N’était-ce pas du moins une manière de ne pas s’en séparer tout à fait? La mère consentit, on déchira sans plus de façon le contrat passé avec M. de Friesen, et la jeune fille, trop jeune encore pour avoir une volonté, fut fiancée en 1707 à M. de Gersdorff, lieutenant de cavalerie, comme elle avait été promise en 1706, promise solennellement et par traité authentique, à M. le comte de Friesen, colonel et chambellan de l’électeur palatin. Le comte de Friesen allait-il se résigner à cette violation du contrat? Pour écarter d’avance ses protestations, on joue une comédie singulière. Le lieutenant Gersdorff enlève l’enfant, avec autorisation préalable, l’emmène en Silésie, fait célébrer son mariage à Neuendorf par un ecclésiastique dont le dévouement lui est acquis, et vient réintégrer sa femme, car il l’appelle de ce nom, entre les mains de sa mère. Le comte de Friesen, informé de l’aventure, jette les hauts cris, dénonce au gouvernement saxon la fourberie dont il est victime, et se déclare résolu à obtenir de l’église l’annulation d’un mariage célébré contre toutes les lois divines et humaines. Or, depuis quelques années déjà, Frédéric-Auguste avait des vues sur l’avenir de la jeune héritière; il la destinait au comte Maurice. Les plaintes de M. de Friesen lui furent une occasion toute naturelle de s’ingérer arbitrairement dans les affaires de la famille de Loeben. Le 19 mars 1708, il écrit de sa main à l’un de ses chambellans, M. de Zegler, pour lui donner l’ordre de diriger l’éducation de Mlle de Loeben, de la préparer à tenir son rang dans le monde, et de veiller surtout à ce qu’elle ne contracte point avant l’âge une alliance précipitée, indigne de sa fortune et de son rang. M. de Zegler répond au souverain qu’il accepterait cette tutelle sans hésiter, si son influence ne devait être combattue par la mère et le beau-père de sa pupille. Aussitôt ordre est donné au nom du roi d’amener à Dresde Mme de Gersdorff et Johanna-Victoria; on les sépare, on les met au secret, on les interroge, comme s’il y avait là un crime à punir et une victime à venger. Enfin quand l’enquête est terminée, quand il est bien établi que Mme de Gersdorff a laissé enlever sa fille âgée de neuf ans par un neveu de son mari, et que celui-ci, pour confisquer d’avance la fortune de l’enfant, s’est fait unir à elle devant un autel profané, ce mariage, déféré au consistoire supérieur, est déclaré nul et de nul effet. La mère a beau protester en versant des flots de larmes, elle ne reverra plus sa fille. Johanna-Victoria est confiée à une personne de la cour. Mme de Trützschler, afin que, désormais soustraite aux