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En 1711, il avait suivi le roi en Poméranie ; en 1712, il prit part au siège de Stralsund, où Charles XII était attaqué à la fois par les rois de Prusse, de Danemark et de Pologne. Impatient de voir ce Charles XII qui remplissait le monde du bruit de son nom, et qui, sept années auparavant, avait détrôné Frédéric-Auguste, il se jetait au fort de la mêlée, persuadé qu’il le trouverait à coup sûr là où le danger était le plus grand. L’année suivante, Frédéric-Auguste lui donnait un régiment de cuirassiers, et bientôt après, voulant assurer une fois pour toutes la fortune du jeune colonel, il le mariait à la plus riche héritière de ses états.

On sait les scandales et le triste dénoûment de cette union ; mais nul n’en connaissait les étranges préliminaires avant les révélations des archives de Dresde. L’aventure est curieuse. Ce n’est pas le tableau d’un mariage royal comme celui qui a été tracé d’une main si ferme et d’une plume si vive par un illustre historien de nos jours[1] ; nous n’y trouverons pas, comme dans ce beau récit, des renseignemens intimes sur les trois plus grandes cours de l’Europe et sur les personnages qui y jouaient un rôle au début d’une époque mémorable : j’oserai dire pourtant que ce mariage semi-bourgeois, semi-royal, ce mariage d’un fils naturel du roi de Pologne avec une riche héritière de la Saxe est une page qu’il faut restituer à l’histoire. Il peint en traits ineffaçables et le caractère du maréchal de Saxe et les mœurs du XVIIIe siècle.

Il y avait en Saxe au commencement du XVIIIe siècle un gentilhomme nommé Ferdinand-Adolphe de Loeben, qui possédait d’immenses domaines sur tous les points de la contrée, et n’avait d’autre héritier qu’une fille unique, Johanna-Victoria. Cette dot énorme était convoitée par les plus grands personnages. Dès l’âge de huit ans, Johanna-Victoria avait été demandée en mariage par un des premiers seigneurs de la cour de l’électeur palatin, le comte Henri-Frédéric de Friesen, fils du maréchal comte de Friesen et de la marquise de Montbrun. Le 26 avril 1706, M. de Loeben souscrivit à un contrat par lequel il s’engageait à donner sa fille en mariage au comte de Friesen, pourvu toutefois que ledit comte sût gagner l’affection de l’enfant et la conserver jusqu’à l’époque où elle deviendrait nubile. Peu de temps après, M. de Loeben mourut, et sa veuve épousa en secondes noces un lieutenant-colonel au service de l’électeur de Saxe, M. de Gersdorff. Ce M. de Gersdorff était un habile homme. Peut-être avait-il épousé la mère pour accaparer au profit des siens la fortune de la fille. En tout cas, cette opération hardie, soit qu’elle fût préméditée de longue main, soit qu’elle ait été inspirée subitement par les circonstances, ne tarda point à s’accom-

  1. Voyez la Revue du 15 juillet, du 1er août et du 1er octobre 1862.