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de son rajeunissement, dans ses désastres de 1848 et dans ses dernières crises de transformation, qu’en a-t-il pensé définitivement? M. de Montalembert, dans la vive et émouvante biographie qu’il a retracée avec une fraternelle éloquence, n’hésite pas à noter sur ce point une déviation de jugement, une illusion du père Lacordaire au début et un plein retour à la fin, en présence des révolutions d’où est sortie l’unité italienne par le démembrement des états du saint-siège. M. de Falloux, dans l’introduction qui ouvre la Correspondance avec Mme Swetchine, substitue à peu près tout simplement ses opinions à celles du généreux dominicain. L’un et l’autre se croient tenus d’effacer, d’éteindre la pensée du père Lacordaire et de s’armer de ses scrupules de la fin contre ses sympathies du commencement. Il faut s’entendre. La vérité est que, pour Lacordaire, l’idéal primitif eût été sans doute une Italie affranchie où la papauté eût gardé une puissance indépendante et régénérée, et qu’à l’heure des dernières épreuves il s’est senti retenu par son dévouement au saint-père, par une intime fidélité. Il y a un jour où, mettant la main sur son cœur, il écrit ce mot d’une délicatesse supérieure : « Pie IX est maintenant trop près de Pie VII par ses malheurs comme il l’a été par ses généreux desseins pour que la piété filiale ne domine pas mes pensées et mes paroles. » Et cependant c’est réellement une présomption étrange et une précaution bien peu sérieuse de chercher à absoudre Lacordaire d’une sympathie qu’il ne cachait pas, de paraître l’associer à cette pensée exprimée par M. de Falloux, que l’instinct national et l’instinct libéral en France s’élevaient également contre la guerre qui a conduit à l’indépendance de l’Italie. C’est une idée parfaitement propre à M. de Falloux, qui a besoin de l’éclaircir encore, même après son introduction. Le père Lacordaire ne pensait pas du tout cela, il a dit à peu près le contraire. Cette crise qui est venue un jour fondre sur l’Italie et sur la papauté temporelle, il avait tout fait pour la détourner, il la voyait venir, et ce n’est pas la preuve d’un jugement si peu sûr, à moins que la sûreté de jugement ne consiste à être libéral en France et à ne plus l’être en Italie, à prétendre soutenir par un artifice de la force une situation ruinée par tous les abus.

C’est Lacordaire qui, dès 1846, montrait ces hommes entêtés d’absolutisme travaillant déjà à la perte future de la papauté temporelle; c’est lui qui, après 1848, en présence de la catastrophe précipitée par les passions révolutionnaires, mais préparée par les passions absolutistes, écrit avec une clairvoyance navrée : « Voilà où nous ont amenés ceux qui ont refusé leur concours à Pie IX pour les réformes que toute l’Europe réclamait! Pie IX était le salut de Rome, on l’a méconnu, on l’a laissé vaincre par la démagogie, et