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ciation ne fut pas longue; aidé de Mgr Miche, l’amiral signa une convention par laquelle il accepta l’offre du souverain du Cambodge de placer son royaume sous le protectorat de la France.

Cet acte peut être la source de graves difficultés; mais n’était-il pas nécessaire? n’était-il pas une conséquence; inévitable de notre position? Le brave amiral qui s’est décidé à y attacher sa responsabilité ne s’est point fait illusion sur les complications qu’il pouvait engendrer, et s’il les a bravées, c’est que notre ascendant incontesté sur le Cambodge était la condition indispensable de notre établissement en Cochinchine. Il était en effet d’une impérieuse nécessité de couvrir notre nouvelle possession du côté du nord par un allié sûr, afin de disposer de nos moyens militaires pour surveiller nos autres frontières, tenir en respect les Annamites, plus contenus que soumis et toujours prêts à nous disputer les provinces conquises par nos armes. Le Cambodge nous fournit de 7 à 8,000 bœufs nécessaires à l’approvisionnement de nos troupes; c’est de son grand lac que se tirent des quantités considérables de poissons séchés et salés dont l’exportation peut prendre un grand développement; c’est sur les rives du fleuve que se récoltent les produits qui alimentent le commerce de Saigon, et sans l’acte décisif de l’amiral La Grandière nous risquions de voir ce mouvement commercial se détourner de notre établissement par le canal d’Hatien ou par le bras de Bassac[1], et notre nouvelle possession était condamnée à périr faute d’air et d’espace.

A peine terminée, cette négociation souleva de la part du gouvernement de Siam les plus vives réclamations. Le ministre des affaires étrangères de Bang-kok écrivit à l’amiral La Grandière que le vice-roi du Cambodge l’informait (comme si le souverain de ce pays n’était qu’un fonctionnaire relevant du gouvernement siamois) qu’il venait de signer, sous la contrainte, une convention avec le gouverneur de Saigon. Le ministre siamois se plaignait et s’étonnait de n’avoir pas été averti des intentions du représentant de la France, d’autant plus, disait-il, que cette conduite était en contradiction avec les paroles de l’empereur des Français et les assurances données par son ministre des affaires étrangères aux ambassadeurs siamois, paroles et assurances qui l’avaient autorisé à penser que la question des limites de la Basse-Cochinchine et du royaume de Siam serait traitée directement avec le gouvernement de Bang-kok. Sans entrer en explications sur les formes employées, notre gouverneur se contenta de répondre que, nonobstant ses obligations envers Siam d’une part, la France et la cour de Hué de l’autre,

  1. Une des embouchures du Cambodge.