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cieuses, parmi lesquelles il faut citer le teck, si recherché par les constructeurs de navires, et que les chantiers européens paient à des prix si élevés.

Tel est, dans ses traits généraux, l’aspect que présente la Basse-Cochinchine, considérée comme pays producteur. Ne nous étonnons pas qu’à la lecture des premiers rapports de nos officiers, le ministre le plus intéressé à cette entreprise lointaine, pris d’un bel enthousiasme, se soit écrié : « Ce n’est pas une colonie que nous venons d’acquérir à la France, c’est un royaume. »


II.

Le lendemain pourtant de la signature du traité du 5 juin 1862, une autre question surgit qui nous força d’ajourner la mise en valeur des fertiles territoires qu’on vient de décrire, et il fallut rentrer dans la voie diplomatique. Ordinairement la raison humaine s’étudie à dominer la force des choses; rien de pareil, on peut le dire, dans notre expédition en Cochinchine : c’est toujours la force des choses qui décide de notre conduite.

En possession des trois plus riches provinces du royaume d’Annam, nous reconnûmes bientôt qu’il nous serait difficile de les gouverner, d’assurer leurs frontières, de porter leur richesse agricole au degré d’importance qu’elles sont destinées à atteindre, si nous n’exercions pas dans le Cambodge une influence prépondérante. On a vu quel lien étroit unit la partie du pays que nous occupons et le royaume du Cambodge. Le magnifique fleuve de ce nom, qu’alimentent trois grandes rivières, dont l’une, le Laos, a sa source dans les montagnes du Thibet, parcourt des espaces immenses qui le font considérer comme la seconde artère de l’extrême Orient[1]. Il pénètre par un de ses bras jusqu’au Donnaï, qui baigne Saigon, et par un autre se joint au canal d’Hatien, qui mène ses eaux à Mitho, chef-lieu d’une de nos provinces. Le royaume du Cambodge, après avoir joui d’une civilisation aussi complète que la Chine, est retombé dans la barbarie, et se trouve depuis deux cents ans livré à la plus affreuse anarchie. Il a tour à tour appelé sur son territoire les armées de ses voisins du royaume d’Annam et du royaume de Siam. Le gouvernement de Hué a tiré parti de ses fréquentes interventions pour prendre des sûretés, dans l’intérêt de ses provinces du sud de la Basse-Cochinchine, contre les invasions des populations du Cambodge. Il s’est fait attribuer un droit d’ingérence dans les affaires intérieures de ce malheureux pays et une suzeraineté qu’il

  1. On le compare au Yang-tse-kiang ou Fleuve-Bleu de la Chine.