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regrets de la sottise qu’ils ont commise hier. » C’était un blâme indirect de la témérité du roi. « Je me suis fié à ma bonne étoile, reprit Charles XII, et à la loyauté du roi Auguste. » Chez Voltaire, c’est au général Renschild et non au comte Piper que Charles XII fait cette réponse. A part ce détail insignifiant et quelques autres du même genre, le fond du récit est le même. Quant au rôle de Flemming, plus longuement développé dans les mémoires du maréchal, il explique très bien ces paroles que l’historien français attribue au roi de Suède : « J’ai vu un moment qui n’était pas bien net; Flemming n’avait nulle envie que je sortisse de Dresde si tôt. »

Mais ce sont surtout ses propres aventures que Maurice a déroulées à nos yeux. Il faut l’entendre conter ses premières joies militaires, où éclate déjà comme un rayon du soleil de la gloire. Malheureusement M. de Weber ne nous donne pas le texte même des mémoires de Maurice, il le traduit dans la langue de son pays, et c’est sa version allemande que nous sommes forcé de traduire à notre tour :


« J’étais revenu en Saxe à la fin de l’année 1708; le 5 janvier 1709, M. de Schulenbourg vint dans ma chambre et me dit, au nom du roi, que sa majesté voulait faire de moi un soldat, ce dont je lui devais une grande reconnaissance, et que nous partirions le lendemain matin; mon équipage était prêt, ajoutait-il, et je ne devais emmener qu’un seul de mes gens mon valet de chambre. J’étais ivre de joie, surtout en pensant que je n’aurais plus de gouverneur. Schulenbourg m’avait fait faire un uniforme, je l’endossai, on m’attacha un grand ceinturon avec une longue épée; des bottes à la saxonne complétèrent mon équipement militaire, et je fus conduit auprès du roi pour lui baiser la main. Je dînai à sa table, et l’on me fit boire vigoureusement à sa santé. La conversation tomba sur mes études ; il fut question de mes connaissances en géométrie, de mon habileté à dessiner, de ma promptitude à dresser des plans. Le roi dit à Schulenbourg : « J’entends que tous les plans que vous m’enverrez soient tracés de sa main. « Il ajouta : « Secouez-le-moi comme il faut et sans ménagement, cela l’endurcira. Pour commencer, faites-le marcher à pied jusqu’en Flandre. » Ce projet n’était pas de mon goût, mais je n’osai rien dire; Schulenbourg, répondant pour moi, en termes fort convenables sans doute, mais qui certainement n’exprimaient pas ma pensée, assura que mon seul désir était que mes forces ne trahissent pas mon zèle, et autres choses semblables. Aller à pied ne m’arrangeait pas du tout, j’aurais bien mieux aimé servir dans la cavalerie, et j’osai en faire la proposition; mais je fus rudement éconduit. Le roi dit encore à Schulenbourg : « Je ne veux pas qu’on le dispense de porter ses armes pendant les marches, ses épaules sont assez larges pour qu’il les porte lui-même. Et ne permettez pas surtout qu’il paie des remplaçans pour monter ses gardes, à moins qu’il ne soit malade et sérieusement malade. » Je dressai les oreilles, et je trouvai que le roi, d’habitude si bienveillant dans sa façon de me traiter, parlait ce jour--