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cumens qu’il venait de publier avec son ami, et il en a tiré tout ce qu’ils contiennent pour l’histoire de l’esclavage. C’est une question de droit grec entièrement nouvelle, et en même temps une étude très intéressante de la société de cette époque. Il était naturel que l’esclave qui, à force de privations, parvenait à ramasser l’argent nécessaire pour sa délivrance cherchât à entourer son affranchissement des garanties qui pouvaient le mieux en assurer le respect. Plus le bien qu’il voulait conquérir était précieux, plus il importait qu’il fût solide. L’idée vint donc d’assez bonne heure d’appeler ce qu’il y a de plus respectable au monde, la religion, à sanctionner le contrat que l’esclave faisait avec son maître. Ce contrat était dressé sous forme de vente à une divinité, et l’on choisissait de préférence la divinité la plus puissante et la plus honorée. C’est ainsi que l’usage s’établit d’amener à Delphes, de tous les pays voisins, l’esclave qu’on voulait affranchir. Le maître s’avançait avec lui jusqu’à l’entrée du temple, et là, en présence de témoins choisis parmi les premiers citoyens, en face du sanctuaire vénéré, au fond duquel on apercevait les statues des trois Parques et l’entrée du mystérieux oracle, il le vendait solennellement au prêtre d’Apollon. Cette vente était fictive : c’était l’esclave qui fournissait l’argent que le prêtre payait pour sa rançon, et il le fournissait pour être libre. Il y avait un grand avantage pour lui à devenir l’affranchi d’un dieu : il était désormais sous sa protection ; il pouvait, en cas de malheur, se réclamer de lui ; si quelqu’un contestait sa liberté, ce n’était plus à un homme, ou plutôt à moins qu’un homme, à un esclave, c’était à Apollon même qu’il faisait outrage. Voilà pourquoi on dressait avec tant de soin l’acte de vente. Cet acte était écrit par le néocore ou sacristain, signé par les témoins, les cautions et les prêtres, et gardé sans doute dans les archives ; mais, pour le mettre à l’abri de toutes les chances de destruction auxquelles un simple papyrus est exposé, on en faisait un extrait qu’on gravait sur la muraille même du temple. Ce sont ces extraits que MM. Wescher et Foucart ont retrouvés ; ils ont duré plus que le temple et que le dieu. Ils ont surtout une valeur, c’est de nous faire connaître à quelles conditions l’affranchi avait recouvré sa liberté. Rarement il était assez heureux pour sortir d’esclavage tout entier, et il lui arrivait d’y laisser une partie de lui-même. Tantôt c’est une jeune fille dont les vieux parens restent esclaves : ils ont conquis péniblement l’argent nécessaire pour la délivrer, et ils se sont oubliés pour songer à elle. Plus souvent c’est une pauvre mère qui n’a pas pu racheter avec elle ses enfans. Les enfans nés à la maison (vernœ) sont un revenu qui appartient au maître, un produit sur lequel il compte, comme sur le blé à l’été et le vin à l’automne ; si la mère veut les avoir, il faut