Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’édit de Dioclétien commence par un interminable préambule qui est tout à fait dans le style ordinaire des chancelleries despotiques : c’est une homélie embrouillée qui débute par de touchantes réprimandes et finit par des menaces terribles. L’empereur, qui se qualifie de père du genre humain (parens generis humani), se plaint d’abord assez doucement que ses enfans se laissent beaucoup trop entraîner à l’amour des gains illicites. L’avidité ne connaît plus de bornes, et tout le monde est d’accord que ce qui se vend sur les marchés et dans les boutiques a atteint des prix exorbitans. Cette cherté des denrées, Dioclétien prétend qu’elle est factice, et il en accuse, comme on le faisait chez nous en 93, les spéculateurs et les accapareurs. Pour ceux-là, il est sans pitié. Ce sont des misérables « qui s’affligent de l’abondance, qui se réjouissent de la disette, et font commerce de la misère publique. » Ne croirait-on pas entendre parler un démagogue de notre révolution? Non-seulement il parle, mais il agit comme eux. « J’ai résolu, dit-il, de fixer d’une manière invariable, non pas le prix des denrées, ce qui ne serait pas juste, parce qu’il y a des provinces plus favorisées que d’autres, et où elles se vendent moins cher, mais un maximum que nulle part on ne pourra dépasser. » Ce remède lui semble admirable, et il s’applaudit naïvement de l’avoir trouvé. C’est la félicité du genre humain qu’il assure, puisque, dans les temps d’abondance, toutes les denrées se vendront aussi bon marché qu’on voudra, et qu’elles ne pourront pas dépasser, dans les époques de disette, le taux fixé par l’empereur. Voilà donc des limites qu’on met pour jamais à la misère, tandis qu’il n’y en a point à la prospérité. Vient ensuite la sanction de l’édit. « Comme il a remarqué que la peur est le maître qui enseigne le mieux aux hommes leur devoir, » Dioclétien n’édicte qu’une peine contre tous ceux qui violeront ses ordres : la mort, — la mort pour les trafiquans qui essaieront de se faire payer plus cher qu’ils ne le doivent, la mort pour les accapareurs de toute sorte qui gardent chez eux plus de marchandise qu’il ne leur en faut, la mort pour tous ceux qui de quelque façon se seront faits leurs complices. À ce moment, le père du genre humain se demande si la sévérité de ces peines ne le fera pas accuser d’être un peu dur : cette considération ne l’arrête guère, et il se rassure par cette raison très naïve, qu’après tout il est facile d’éviter le châtiment en évitant la faute. — Mais il eut beau menacer, son édit eut le sort de toutes les lois semblables : il amena des soulèvemens terribles dans toute l’Asie, il fit couler le sang et augmenta la misère, qu’il devait à tout jamais conjurer; puis, lorsque l’empire, déjà si malade, se fut encore affaibli dans ces luttes intérieures, il fallut que l’empereur reconnût publiquement qu’il s’était trompé et