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suivre. Depuis cette époque, les tendances de l’enseignement public en France ont peu varié. Il ne serait pas difficile de faire voir que, malgré la différence des temps, l’esprit en est resté à peu près le même, et que la plupart de nos méthodes d’aujourd’hui sont celles qu’ont pratiquées tour à tour les oratoriens, les jésuites, les doctrinaires et la vieille université. Cet enseignement, qu’ont respecté cinq ou six révolutions, qui a survécu à la société qui l’avait fondé, présente surtout deux caractères qu’il importe de remarquer. Le premier, c’est qu’il est uniformément donné à tout le monde de la même façon. Il n’admet pas de diversité, il ne cherche pas à s’approprier à la situation sociale ou à la destination des élèves. Tandis qu’en Angleterre, par exemple, un petit nombre de jeunes gens que leur naissance appelle à la vie politique, ou que leur goût porte vers les carrières libérales, étudient seuls les littératures anciennes, et que le reste ne dépasse pas un fort enseignement primaire, chez nous on impose à tout le monde les études classiques; il n’y a pas d’éducation sérieuse sans elles, et tous ceux qui apprennent quelque chose apprennent la même chose. Le second caractère de notre enseignement, aussi remarquable et moins remarqué que le premier, c’est qu’il cherche avant tout à être pratique. Ce n’est pas la qualité qu’on lui accorde ordinairement, et tous ses ennemis semblent unanimes à lui reprocher le défaut contraire. Cependant il est certain que c’est cette préoccupation pratique qui distingue nos lycées des gymnases de l’Allemagne. Nous n’étudions pas les langues et les littératures antiques pour elles-mêmes, comme on le fait au-delà du Rhin, mais pour nous. Nous avons moins le désir de les connaître à fond que de nous servir d’elles comme d’un moyen de cultiver notre intelligence. Tout, dans les exercices de nos classes, est calculé pour ce résultat. On y explique moins de textes qu’en Allemagne, mais on y corrige plus de devoirs. Chaque jour l’élève est mis en demeure d’appliquer les observations qu’il a pu faire dans les auteurs qu’il a lus. On veut qu’il se pénètre d’eux en les imitant. On lui demande moins de les comprendre en philologue que de les analyser en littérateur. On lui en fait moins remarquer les curiosités érudites que les vérités générales. La grande affaire pour lui, c’est d’en tirer tout ce qui peut lui servir de quelque chose dans la pratique de la vie. Qui ne reconnaît, dans ces deux caractères de notre éducation publique, le caractère même et les instincts les plus profonds de la France? Cette uniformité dans l’enseignement, cette répugnance à créer des distinctions et des classes dans la culture intellectuelle de la nation n’est-elle pas une suite naturelle de ce désir d’égalité, la première et la plus violente de nos passions politiques? Et quant à cette façon d’étudier les au-