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l’élégance des contemporains d’Auguste. C’est une marche contraire que nous fait suivre M. de Rossi. Avec lui, nous nous sentons enfoncer pas à pas dans la barbarie. L’année 410 semble être le dernier degré de cette décadence. C’est alors qu’Alaric s’empara de Rome et la mit au pillage. La désolation fut immense dans l’empire à cette terrible nouvelle. « La lumière du monde s’est éteinte, s’écriait saint Jérôme; l’empire est décapité, et la ruine d’une seule ville est celle du genre humain tout entier. » M. de Rossi nous fait remarquer qu’il ne nous reste aucune inscription funéraire de cette triste année. Ce n’étaient assurément pas les morts qui manquaient; mais les survivans étaient si découragés et tremblaient tellement pour eux-mêmes qu’ils ne s’occupaient guère de ceux qu’ils avaient perdus. Cependant Rome revint de cette épouvante. On se fait à tout, même aux pillages et aux massacres, et dans cette ville qu’un Barbare venait de prendre et que d’autres Barbares menaçaient, la vie bientôt se réveilla. Nous avons pour les années qui suivent un assez grand nombre d’inscriptions, et même, ce qui a surpris tout le monde, des inscriptions plus correctes, plus élégantes, et qui semblent l’œuvre d’une société plus lettrée. Que faut-il penser de ce changement inattendu, et de quelle façon convient-il de l’expliquer? Je ne crois pas que ce soit assez de dire que les familles affligées, au lieu d’exprimer leurs regrets elles-mêmes, comme elles le faisaient jusque-là, et avec plus de douleur véritable que de correction ou d’orthographe, faisaient composer ces inscriptions par des grammairiens de profession, et qu’ainsi la différence qu’on remarque entre les épitaphes de ce temps et celles de l’époque précédente vient de ce qu’auparavant elles étaient l’œuvre des parens même du mort, tandis que plus tard on se contenta de les commander à des gens dont c’était le métier. Il faut, je pense, aller plus loin; nous devons reconnaître qu’il y a eu à cette époque une sorte de courte renaissance, et que cette littérature, qui sentait qu’elle allait finir, a fait comme un effort suprême pour résister à la barbarie qui l’envahissait. C’est le temps où Théodoric, un Barbare qui avait l’instinct et le goût de la civilisation, donna à cette société tourmentée quelques années de repos; c’est l’époque de Boëce et de Cassiodore, et les inscriptions publiées par M. de Rossi rendent ce service à l’histoire littéraire de prouver que ces deux écrivains n’étaient pas seuls, et que leurs efforts pour rendre quelque éclat aux lettres romaines n’ont pas été tout à fait sans succès. On en trouve quelques-unes qui contiennent non-seulement une poésie correcte, souvent élégante, mais, ce qui est plus rare dans les temps de décadence, un sentiment vrai et beaucoup de goût et de mesure dans l’expression. Je n’en citerai qu’une, que l’anthologie