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les transactions privées comme de tous les actes publics. Dans cette partie de son travail, M. de Rossi a rencontré les difficultés les plus graves. Tant que Rome reste la capitale unique du monde romain, la liste des consuls est assez facile à établir; les embarras commencent lorsque l’empire se divise. On sait quelles rivalités furent la suite de ce partage. Les consuls reconnus en Occident ne l’étaient pas toujours en Orient, et, à partir de Théodoric, Rome cesse de vouloir accepter ceux de Constantinople. Placées entre ces deux capitales, les provinces hésitent, et elles finissent par se décider suivant leurs relations naturelles ou leurs alliances du moment. De là des variations qui amènent de grandes obscurités dans la chronologie. En même temps les invasions de l’étranger se joignent aux dissensions intérieures; les relations deviennent de plus en plus difficiles entre les divers peuples qui composaient l’empire romain; les journaux ne vont plus porter, comme autrefois, jusqu’aux extrémités du monde les actes du sénat et les décrets du prince; les postes, si régulièrement organisées par Auguste, ne fonctionnent plus; on ne sait plus à Lyon ou à Arles qui est consul à Constantinople ou à Rome, et en attendant qu’on l’apprenne, comme il faut bien désigner de quelque façon l’année où l’on se trouve, on rappelle les noms des consuls précédens et l’on emploie ces formules singulières : «la première ou la seconde année après le consulat de Symmaque ou de Messala. » Ces formules, qu’on appelle ordinairement des postconsulats, non-seulement M. de Rossi les a expliquées, mais il en a tiré des conséquences très importantes et fort inattendues pour l’histoire si confuse de ce temps. En les étudiant avec soin, il a été amené à reconnaître que l’on avait eu pour les employer d’autres motifs encore que celui que je signalais tout à l’heure. Il a remarqué que les provinces y avaient recours toutes les fois qu’elles étaient en désaccord avec la métropole. Par exemple, lorsqu’en 509 Clovis est en guerre avec Théodoric, alors maître de Rome, les inscriptions de la Gaule ne mentionnent plus que les consuls de l’année précédente. Une fois la paix rétablie, le nom des consuls actuels reparaît jusqu’à de nouvelles difficultés. C’était donc une sorte de rupture diplomatique avec Rome et un acte d’hostilité que de ne pas reconnaître les consuls en exercice, et il devient ainsi possible, au moyen des inscriptions, de constater quelle était aux diverses époques la situation des différentes provinces et l’état de leurs relations avec la capitale de l’empire. C’est là un moyen curieux que nous fournit l’épigraphie de contrôler les récits de l’histoire, ou même, s’il en est besoin, de suppléer à son silence[1].

  1. M. de Rossi a développé la découverte qu’il a faite dans une note intéressante lue à l’Académie des Inscriptions et qui a été reproduite par la Revue archéologique, recueil qui s’est fait chez nous l’organe de ces sortes d’études et jouit de beaucoup d’autorité à l’étranger. À cette occasion, M. de Rossi rend à un savant français, M. Le Blant, la part qui lui revient dans cette découverte : il dit qu’en travaillant chacun de son côté, ils sont arrivés tous les deux en même temps au même résultat. Cet aveu fait d’autant plus d’honneur à M. Le Blant qu’il n’expérimentait que sur les inscriptions chrétiennes de la Gaule, tandis que M. de Rossi avait à sa disposition celles du monde entier.