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fin du dernier siècle. Le coup de pioche d’un ouvrier qui creusait une cave donna l’accès dans une hypogée, et l’on y trouva rangés autour de la muraille, comme ils y furent mis il y a deux mille ans, tous les sarcophages des Scipions. Tous portent des inscriptions que M. Mommsen a reproduites et éclairées par un savant commentaire. La plus ancienne est aussi la plus curieuse; c’est celle d’un des aïeux de l’Africain, de Scipion Barbatus, le vainqueur des Lucaniens et des Samnites. Elle est écrite en mètre saturnin, sorte de vers qu’Horace, qui n’aimait pas l’antiquité, appelle barbare. Il est certain que le rhythme n’en est pas fort sensible, et qu’au premier abord on la croirait écrite en prose. Cependant cette poésie, si rude et si primitive qu’elle soit, a été de son temps un progrès et une innovation grave, dont sans doute les esprits ombrageux ont pris l’alarme. C’est ce qu’un détail curieux de l’inscription permet de soupçonner. Sur la première ligne, on ne lit que le nom du défunt, et ce nom est peint au minium. Voilà quelles étaient les habitudes anciennes, et de quoi l’on se contentait avant qu’on eût appris à graver les lettres au lieu de les peindre, et à grouper les mots ensemble de manière à en former un mètre quelconque. Quand de nouveaux usages prévalurent, il fut de règle néanmoins qu’au-dessus de l’inscription nouvelle, gravée sur la pierre, on continuerait à peindre l’inscription antique, comme un dernier hommage à des traditions qu’on voulait paraître respecter, ou peut-être afin de désarmer les vieillards soupçonneux qui s’alarmaient de toutes les innovations. Ce respect du passé, ces timides aspirations vers l’avenir, ces efforts pour les accommoder ensemble, sont curieux à signaler dans ces temps reculés : on les retrouve à tous les âges de l’histoire de Rome, et ils sont le fond même du caractère romain. Quant à l’inscription de Scipion Barbatus, elle ne contient que l’énumération des victoires qu’il a remportées et des fonctions qu’il a remplies, rappelées dans des formules dont la simplicité ne manque pas de grandeur. Le passage le plus curieux est celui où il est dit expressément que la beauté de Scipion était égale à son courage, forma virtuti parissuma fuit. Ce passage cause d’abord quelque surprise, et il semble que ce souci de la beauté du corps conviendrait mieux à des Grecs qu’à des Romains de ce temps; mais il faut songer qu’il s’agit ici des Scipions, c’est-à-dire de la famille qui de toutes les familles romaines fut la plus accessible aux idées et aux usages de l’étranger, qui céda avant les autres aux charmes de la Grèce, qui se fit honneur de protéger Térence et de donner l’hos-