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empêché d’entendre l’appel du canon. Malade, mourant, porté au feu dans sa chaise, il a montré, comme dit Bossuet, qu’une âme guerrière est maîtresse du corps qu’elle anime. Au milieu de la mollesse générale, il a été, toutes les fois que le devoir public a parlé, un modèle d’énergie et de constance. Dans les péripéties d’une lutte qui pouvait mettre la France en péril, il nous a sauvés à Fontenoy, et, grandissant de victoire en victoire, il nous a conquis cette paix appelée par tant de vœux, cette paix si nécessaire, si bienfaisante, que l’Europe nous refusait avec une défiance obstinée. Le jour où des documens nouveaux sur un tel personnage sont découverts dans les archives d’un royaume étranger, n’est-ce pas un devoir pour la critique française de s’y intéresser et de les mettre en lumière?


I.

Le registre de la paroisse de Goslar porte ces mots à la date du 28 octobre 1696 : « Aujourd’hui, dans la maison de Henri-Christophe Winkel, est né d’une haute et noble dame un enfant du sexe masculin qui a été baptisé sous le nom de Maurice. » Goslar est un hameau solitaire à quelque distance de Quedlinbourg; or il y avait à Quedlinbourg une célèbre abbaye luthérienne où la comtesse de Kœnigsmark sollicitait un titre de chanoinesse, et pendant les négociations auxquelles sa requête donna lieu, elle s’était d’avance établie dans la ville. Le hameau de Goslar, éloigné des bruits du monde, lui avait paru l’endroit le plus propice pour sa délivrance. Ce n’est pas que la comtesse fût disposée à rougir de la naissance de son enfant, car l’immoralité qu’on impute trop exclusivement au monde de la régence existait déjà dans la dernière période du XVIIe siècle, et l’ambitieuse maîtresse de l’électeur de Saxe ne regrettait pas l’événement qui devait, bon gré, mal gré, prolonger les rapports de la mère avec le volage souverain. Il semble toutefois qu’un reste de pudeur ait décidé la comtesse à rechercher une retraite ignorée de tous pour y donner le jour au rejeton de Frédéric-Auguste. Quoi qu’il en soit, le secret ne fut pas longtemps gardé. Au mois de novembre 1696, un gentilhomme bien informé, M. de Menken, écrivait de Wolfenbüttel à Dresde : « Un joli poupon, jeune aventurier de quinze jours, a commencé ses aventures en allant dans son berceau, en carrosse avec sa nourrice, de Goslar à Hambourg; on dit qu’il va commencer son roman pour mettre fin à celui de sa mère. » Mettre fin au roman de sa mère ? Oui, à ses aventures romanesques, mais non pas à ses ambitions politiques; la chanoinesse de Quedlinbourg essaiera de ressaisir l’influence dans les in-