Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/999

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III.

Si nous ne pûmes accomplir à Madagascar les travaux de tout genre que comportait notre mandat, la cause en fut moins à l’état de révolution du pays qu’à la direction que reçut fatalement notre mission sous la conduite d’un chef militaire. Faisant dépendre le succès d’une entreprise industrielle de la réussite préalable de la tâche politique qui lui avait été confiée, le commandant de l’Hermione devait presque inévitablement, en présence des événemens qui s’étaient passés, ruiner tous les projets de la compagnie de Madagascar, et c’est ce qui est arrivé en effet. Les Anglais en pareille matière procèdent tout autrement, et l’on ne saurait nous accuser en cette occurrence d’aller maladroitement leur emprunter des inspirations. Dans toutes les explorations anglaises dirigées, comme la nôtre, par la marine militaire, une seule pensée a toujours animé l’expédition : hommes de science et hommes de mer ont marché sur le même pied, et le commandant britannique a su à propos se relâcher vis-à-vis des civilians des rigueurs et des exigences de la discipline; mais les Anglais préfèrent encore les explorations isolées, et ils en ont fait dans ces derniers temps qui méritent l’admiration de tous les pays civilisés. On connaît les belles découvertes de Livingstone dans l’Afrique australe; on sait comment Burton a fait son excursion aux grands lacs de la région intérieure du même continent, Speke et Grant leur découverte des sources du Nil, comment enfin Mac-Donall Stuart a traversé du sud au nord la grande terre d’Australie. Chacun de nous allant à Madagascar, sans avoir la prétention de faire si grandes choses, ni d’acquérir si haute renommée, avait cru un moment se trouver, comme l’un de ces voyageurs aventureux, abandonné à ses seules inspirations. Nous savions tous que c’était au milieu des plus dures privations que devaient s’accomplir nos travaux; tous nous en avions pris bravement notre parti. Aussi, livrés à nous-mêmes ou pilotés par des navires de commerce, nous eussions fait sans le moindre danger, les uns le tour de l’île, les autres l’ascension de Tananarive, ceux-là l’étude des bassins carbonifères de Bavatoubé ou celle des mines métalliques de Vohémare. L’agent forestier aurait en paix exploré les bois du pays, l’agent commercial les ports et les fleuves, en même temps qu’il aurait noué des relations amicales avec les chefs militaires et les gouverneurs des provinces. Le sériciculteur aurait pu se livrer à ses recherches en toute liberté, et il aurait certainement piqué à l’extrême la curiosité des indigènes, qui ne savent encore que travailler grossièrement la soie, quand il aurait fait agir devant eux sa machine à étouffer et celle à dévider les cocons. Le sondeur aurait non