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caine voulaient faire une terre française. La sucrerie fondée par MM. de Lastelle et Ronthaunay sur les bords de la rivière d’Ivondrou existe encore, on l’a vu; mais le souffle vivifiant a disparu avec ces deux hommes : les ateliers tombent presque en ruine, les machines sont presque hors de service, et malgré les quatre cents esclaves attachés à l’habitation, les champs de cannes et de manioc vont dépérissant chaque jour. M. Fiche, qui dirige les plantations et l’usine pour le compte de sa mère, la princesse Juliette, l’une des propriétaires, se borne à tirer des cannes un jus qu’il fait fermenter et distiller. Il fabrique ainsi un rhum nauséabond et malsain qui a peine à lutter avec l’arak de La Réunion, importé par quantités considérables à Madagascar. Il est juste de dire aussi que le gouvernement local a, sous la vieille reine et aujourd’hui encore, entouré cette industrie de tant d’entraves qu’elle est presque impraticable avec profit. Quoi qu’il en soit, il ressort des essais tentés par M. de Lastelle un enseignement précieux : c’est que la culture de la canne à sucre, cette précieuse graminée qui fait la fortune de Maurice et de La Réunion, est des plus productives à Madagascar. Le roseau y atteint même des dimensions inconnues ailleurs, et nul doute qu’avec une culture intelligente et quelques mesures libérales de la part du gouvernement du pays, la plantation des cannes et la fabrication du sucre n’enrichissent un jour, entre tant d’autres industries, les futurs colons de Madagascar. M. de Lastelle a lutté vainement contre d’insurmontables difficultés, contre les ombrageuses inquiétudes de la vieille Ranavalo, qui voulait bien le favoriser, mais qui craignait qu’une réussite trop éclatante n’attirât les Français à Madagascar, contre les lois fiscales du pays, qui donnaient jusqu’à la moitié de la production à la reine, et ne permettaient au planteur de cultiver le terrain qu’à titre d’amodiataire passager, enfin contre les entraves de toute sorte suscitées comme à plaisir par les gouverneurs locaux, gens tous âpres à la curée, et dont il fallait acheter les complaisances à grand renfort de piastres, d’autant mieux accueillies que ces cadeaux formaient la part la plus claire de leurs appointemens. Après avoir essayé de surmonter pendant près de trente années tant d’obstacles réunis, auxquels venaient s’ajouter aussi un climat malsain, des esclaves paresseux, ignorant le travail des habitations, et qu’on ne pouvait former qu’avec peine, enfin une foule de ces embarras de tout genre qu’on rencontre dans les contrées sauvages, M. de Lastelle, à bout de ressources et presque de courage, est mort à Madagascar. Il a été enterré sur son habitation, où la princesse Juliette lui a fait élever sur une éminence un élégant tombeau. Du milieu d’un bouquet de rosiers se dégage une colonne de basalte surmontée d’une urne fu-