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d’intérêt. Au nombre de quatre ou cinq, montés sur des takons du pays, palanquins au siège de toile, qu’enlevaient quatre vigoureux porteurs, nous partions parfois le matin suivis d’une troupe d’esclaves loués pour la journée. À ces compagnons de nos courses était dévolu, outre le soin de nos personnes, celui des vivres et des armes. Joyeux et bruyans, impatiens au départ comme la meute qu’on va conduire au bois, nos hommes appartenaient pour la plupart à la tribu des Bétanimènes ou à celle des Betsimsaraks qui peuplaient la province de Tamatave avant la conquête de Radama Ier. Rappelant par leurs traits le type de la race nègre, doués de muscles d’acier, marcheurs infatigables, ils portaient des sobriquets caractéristiques, et parmi eux on distinguait Gros-Bœuf, l’athlète de la troupe, et qui en était aussi le loustic, grâce à quelques mots de français appris à La Réunion. Le signal du départ donné, on nous enlevait sur nos sièges comme des saints partant pour une procession, puis tous ceux de nos gens qui ne s’étaient pas attelés à un palanquin s’emparaient d’un paquet à leur convenance. Celui-ci portait la caisse aux bouteilles, celui-là les sacs de riz, un troisième les marmites. L’un tenait h. l’extrémité d’un long bambou des gerbes de poules ou de pintades qui se faisaient équilibre à la mode chinoise; un autre portait de la sorte le pain et la viande de la journée. A côté de chacun de nous marchait le porteur du fusil et des munitions. Nous allions armés non pour défendre notre vie, qui ne courait aucun danger dans ce pays où tout blanc est réputé un être supérieur, mais pour faire la guerre aux habitans de l’air, comme dit le classique Boileau. Par momens, nous traversions un bois épais comme une forêt vierge. Alors la caravane s’arrêtait, et nous étions impitoyables : rapaces au bec recourbé et aux plumes fauves, perroquets noirs, perruches vertes, merles et pigeons bleus, tout recevait de notre plomb et venait grossir les provisions de la journée. Ce que nous refusions était accepté de grand cœur par la troupe qui nous suivait, car il n’est pas d’oiseau de proie dont l’odeur et la chair répugnent à un gosier madécasse. Que l’on n’aille pas croire du reste que les perroquets et les perruches ne soient pas dignes d’être appréciés des gourmets. Les émules de Brillat-Savarin, les amateurs de bons morceaux, vont même jusqu’à ne pas dédaigner les roussettes, énormes chauves-souris du pays, et les makes, qui, dans ce centre de création particulier, représentent la famille des singes, absente de Madagascar.

Nous avancions dans notre marche comme de véritables triomphateurs sur leurs chars, ou mieux comme des nababs de l’Inde étendus dans leurs manchys, à l’ombre de leur parasol. Nos braves Malgaches, porteurs et marcheurs, allaient au pas ou au trot, suivant les inégalités de la route, mais toujours alertes et de bonne