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auraient certainement enviée, s’ils l’avaient pu voir, les vieux serviteurs de comédie de nos spectacles forains. Chez les officiers indigènes, on distinguait quelques bonnes figures, quelques types intelligens, surtout parmi les Hovas, et au milieu d’eux l’ancien bouvier Andrianmandrouze, gouverneur du fort, qui essayait d’animer la fête. Lui-même se trémoussait, criait, gesticulait, armé d’un dessus de table à thé orné de laques de Chine, et dont on lui avait fabriqué un écu au moyen d’une poignée collée inférieurement, tout comme on eût pu faire pour don Quichotte. Sa grande préoccupation était d’exciter à des luttes guerrières les Antaïmoures, soldats d’une tribu du sud alors cantonnés dans le fort. Bientôt des femmes se levèrent et dansèrent en cadence, animées par la voix de leurs compagnes, qui marquaient le pas en battant des mains. Je vis là pour la première fois la danse de l’oiseau, danse nationale où la femme malgache déploie tout ce qu’elle a de grâce et de molle volupté. Elle ouvre les bras comme l’oiseau ses ailes, déploie les mains, les agite avec souplesse comme l’oiseau qui s’essaie à voler, puis, étendant les bras et les tournant en rond, reste quelque temps immobile, abandonnée à une douce langueur : c’est l’oiseau qui plane dans la nue. Cette danse nous charma, et nous fûmes plus ravis encore quand nous jetâmes les yeux autour de nous. Partout, sur les talus gazonnés de la batterie, sur les plates-formes même les plus élevées, le peuple assistait à la fête, libre, joyeux. La vue de tous ces visages noirs, de toutes ces têtes découvertes, les hommes drapés dans leurs lambas ou manteaux blancs, bleus, rouges, de toutes couleurs, les femmes dans leurs simhous non moins multicolores, tout cela, sous un brillant soleil des tropiques, formait un panorama vraiment magique; mais la fête se passa froidement : les Malgaches sentaient dans la rade la présence de navires de guerre français, et ils savaient que des relations amicales n’existaient plus à cette heure entre la France et Madagascar.

Le peuple qui jugeait ainsi la situation et qui restait spectateur presque impassible d’une fête où il se fût, en d’autres circonstances, librement abandonné à une joie tout enfantine, était dans le vrai : les bonnes relations étaient rompues avec la cour de Tananarive. La réponse à la lettre de M. Dupré se fit attendre plus d’un mois, et au bout de ce temps elle arriva fort peu satisfaisante : on persistait à vouloir des modifications inacceptables au traité passé avec la France, on n’accordait pas même à nos nationaux l’inviolabilité du domicile. Le gouvernement adressait du reste au commandant de l’Hermione deux envoyés, dont l’un, Raharla, possédait la confiance des deux partis; l’autre, homme à peu près nul, était Raimvoumlale, ancien gouverneur de Foulpointe. Deux tsimandos, à