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de marbre ou de bronze élevées à tant d’illustres inconnus dont le genre humain ne gardera pas le souvenir. Après le banquet, on se rendit, en suivant les bords du lac de Saint-Maurice, à une maison rustique qui s’élève dans une prairie entourée de bois. Des chœurs de jeunes gens de la vallée saluèrent la société de leurs chants harmonieux, et le soir des groupes formés par le hasard ou les affinités électives de leurs études communes regagnèrent à travers la forêt les maisons hospitalières de Samaden et de Celerina.

Le lendemain était le dernier jour de cette session, trop courte au gré des savans, qui auraient voulu entendre encore leurs confrères ou leur communiquer le résultat de ces travaux commencés que la discussion éclaire si souvent de lumières imprévues ; mais les habitans de Samaden, jaloux de montrer à leurs hôtes toutes les beautés de leur vallée, avaient attelé leurs chevaux. Les voitures se mirent en mouvement comme la veille pour descendre le long de l’Inn vers les limites de la Basse-Engadine. Tous les villages étaient parés de drapeaux et de feuillages ; des inscriptions témoignaient de la joie des populations accourues pour saluer de modestes naturalistes, Au-dessus de l’arc de triomphe de Sutz, un ours brun, tué dans le voisinage, avait été placé en vedette. À Capella, le dernier hameau de la Haute-Engadine, un grand cultivateur, notre hôte ce jour-là, avait inscrit sur sa maison cette sentence que la société ne pouvait désavouer : « La nature est le livre de la sagesse. » Toutes les populations des environs se trouvaient réunies ; elles étaient accourues de la Basse et de la Haute-Engadine pour assister à cette fête de la science ; les dames circulaient autour des tables dressées dans la prairie, et de nombreux discours improvisés célébrèrent tour à tour l’étude de la nature, la liberté, la Suisse, l’Italie, la fraternité de la science et du travail.

La session était close, et le lendemain les uns traversaient le Juliers ou l’Albula pour retourner en Suisse, d’autres franchirent les cols du Bernina et du Maloya et descendirent vers le lac de Côme. Le contraste entre les villages sévères de la froide Engadine et les élégantes villas italiennes, entourées de chênes verts, d’oliviers, d’orangers, de lauriers-roses et d’aloès-pitte, est un des plus saisissans qui existent dans le monde. Sur les bords des lacs italiens, les Alpes font l’effet d’un espalier colossal qui abrite les végétaux frileux contre les vents du nord ; de plus les eaux profondes des lacs Majeur, de Lugano, de Côme, d’Iseo et de Garde, véritables réservoirs de chaleur ; adoucissent encore la rigueur des hivers. De là un climat exceptionnel pour cette latitude, comme celui d’Hyères et de toute la côte ligurienne depuis Nice jusqu’à Pise. Un voyageur qui, partant de la Norvège septentrionale, arriverait à Fondi, dans le royaume de