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du plus loin que l’île fut signalée, la plupart d’entre nous ne la perdirent plus de vue. Le panorama que nous avions devant les yeux ne manquait ni de grandeur ni d’étrangeté. Le long d’une plage basse, sablonneuse, s’étend une levée de dunes couronnées par des arbustes tropicaux au feuillage épais et sombre, aux troncs noueux et bas. A droite la pointe Tanio, à gauche celle du Mananzarès, limitent une anse elliptique, qui compose, avec la barre ou les brisans de coraux derrière lesquels nous étions mouillés, la rade de Tamatave, et cette rade elle-même jouit, comme un port véritable, de deux passes ou entrées, l’une au sud, que prennent d’habitude les navires de commerce, l’autre au nord, que préfèrent quelquefois les vaisseaux de guerre à cause de leur plus grand tirant d’eau. Derrière la pointe Tanio, à l’horizon, on distingue l’embouchure de la rivière Ivoluine et la vague silhouette de quelques cahutes au bord de l’eau. Plus au loin, sur la mer, apparaît l’île aux Prunes. Plate, couverte d’une végétation touffue, elle semble surnager comme un énorme bouquet de feuilles abandonné à la surface de l’eau. Devant nous se dressait la ville, perdue au milieu des manguiers, des orangers, des vacoas, des cocotiers, et dont les maisons ou les cahutes, toutes construites en bois, sortaient de cette verdure étincelante comme autant de points sombres qui servaient de repoussoirs au tableau. Çà et là, quelques maisons de plus belle apparence dressaient leur faîte hardi : celle de la princesse Juliette, l’intelligente et bonne Malgache que nous retrouverons bientôt, celle de M. Orieux, le riche traitant français (on la reconnaissait à l’élégance de sa double galerie étagée autour de l’édifice), celle enfin d’un magistrat malgache, le grand-juge Philibert, avec sa belle allée de manguiers plantée jadis par Jean René, l’infortuné roi de Tamatave mis à mort par Radama Ier. Dans un coin plus modeste apparaissait la case de l’agent consulaire français. Le drapeau aux trois couleurs, flottant sur une hampe élevée, en signalait la place précise. A côté, on apercevait la bannière à la double croix rouge et blanche (double crossed flag) de l’agent britannique; puis, au bout de la grande rue, appelée aussi la rue des marchands, la rue du bazar, ou la rue royale, se dressait le drapeau constellé de l’Union. La France, l’Angleterre et les États-Unis, les trois plus puissans pays du globe, sont les seuls qui aient encore envoyé des représentans à Madagascar.

Devant la maison de l’agent consulaire américain s’étend celle des missionnaires français, martyrs d’un dévouement inutile sur cette terre livrée de longue date à l’indifférence religieuse. Non loin est leur école, où quelques desservans modestes, parlant le malgache mieux que les indigènes eux-mêmes, enseignent le français et la