Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/975

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A peine avions-nous jeté l’ancre devant Port-Louis, admirant le magnifique panorama que présentent la rade et cette ligne pittoresque de hautes montagnes déchiquetées par les feux volcaniques qui protège si heureusement la ville, qu’une barque venue vers nous à force de rames s’arrêta à l’arrière de l’Hermione devant la galerie du commandant.

— Connaissez-vous les nouvelles de Madagascar? nous fut-il demandé.

— Non. Eh bien?

— Elles sont mauvaises. — Et un geste de tristesse vint compléter cette laconique réponse.

Le chancelier du consulat de France, qui s’était ainsi abouché avec nous, nous jeta des journaux et des lettres. Nous lui passâmes les nôtres dans un seau où l’amirauté anglaise voulut voir verser un litre de vinaigre, comme si nous venions d’un pays pestiféré, et quelques heures après nous repartîmes pour Bourbon. Dans le parcours entre Port-Louis et Saint-Denis, on s’arracha les journaux, les lettres particulières, et tout le monde resta atterré au récit des malheureux événemens qui s’étaient accomplis à Madagascar avant même notre départ de France. La révolution de palais qui, le 12 mai, avait ensanglanté Tananarive, et dont la nouvelle arrivait alors en Europe, nous fut ainsi révélée dans tous ses affreux détails. Nous apprîmes du même coup et la mort du roi étranglé la nuit dans le grand palais par les conjurés chefs du vieux parti malgache, et l’assassinat successif de tous ses favoris ou menamasses, que Radama avait vainement protégés de son corps et disputés pendant trois jours aux cris menaçans de la populace. Ces jeunes hommes avaient été élevés avec lui et partageaient ses généreuses aspirations; pas plus que lui, ils ne trouvèrent grâce devant la conjuration victorieuse. C’est qu’il existe à Madagascar un parti de la réaction ennemi des réformes, opposé à la civilisation, au progrès, contraire surtout à l’adoption des coutumes européennes. Ce parti, tout-puissant sous la reine Ranavalo, avait eu un instant le dessous à sa mort; mais il s’était bientôt relevé avec audace, et le malheureux Radama avait payé de sa vie le bon accueil qu’il avait fait aux étrangers et les mesures libérales dont il voulait doter son pays.

En présence d’événemens si tristes et si imprévus, le commandant de l’Hermione, M. Dupré, arrivé à Saint-Denis, essaya de se mettre en rapports avec la reine Raboude, proclamée sous le nom de Rasoaherine. Il n’avait pas oublié que, neuf mois auparavant, alors qu’il avait signé, comme envoyé extraordinaire, le traité d’amitié et de commerce entre la France et Madagascar,