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ture se dénouait ainsi paisiblement par une péripétie naturelle et décisive. Maxime et Victor hélèrent le jardinier et les domestiques, et, à l’aide d’un second bateau dont on se servait pour aller faucher les herbes de l’étang, le sauvetage s’opéra. Dès qu’ils furent sur la rive, les deux couples, sans qu’il fut question de la fête du village, s’acheminèrent vers le château. Arrivés à la terrasse, ils ne se dirent point un mot et se séparèrent. Laurence et Maxime rentrèrent; Victor et Gabrielle restèrent un moment seuls. La réconciliation que leurs cœurs avaient désirée en secret et que les circonstances avaient soudainement amenée se cimenta par d’intimes confidences et de douces paroles. Ils se quittèrent en se disant : A demain.

Le déjeuner du lendemain ne ressembla nullement au dîner de la veille. Il y régna pourtant un peu d’embarras, ce qui était dû sans doute à un désir de s’épancher qui n’osait se faire jour. A la fin du repas, il y eut un assez long silence.

— Mon cher d’Hérelles, dit Victor, je prendrai congé aujourd’hui de Mme d’Hérelles et de vous. Je pars.

— Et pourquoi cela?

— Je vais me marier.

— Cher ami, répondit Maxime, je ne vous demande pas avec qui.

— Et toi, dit finement Laurence à Gabrielle, ne te marierais-tu point aussi par hasard?

Gabrielle rougit, et, pour cacher sa rougeur, elle embrassa son amie.

— Mais, reprit Maxime, vous nous reviendrez bientôt tous deux, n’est-ce pas?

— Certes, dirent-ils.

Ils ne revinrent pourtant pas. M. d’Hérelles et Laurence attendaient les nouveaux mariés lorsque Maxime reçut une lettre de Victor. Celui-ci lui annonçait qu’il était nommé capitaine de frégate et gouverneur de la Nouvelle-Calédonie. La Calédonie était un peu loin, mais il importait peu à Victor, car il lui était permis d’emmener sa femme.

Cette lettre rendit Laurence et Maxime rêveurs. Ils l’avaient lue, assis sur la terrasse, à la fin d’un beau jour.

— Nous ne les reverrons peut-être jamais, dit Maxime.

— C’est vrai, fit d’abord Laurence; mais ne sont-ils pas désormais heureux,... heureux comme nous?...

— Oui, reprit gravement Maxime, car ils ont comme nous écouté, à l’heure d’un danger suprême, la voix d’une affection sincère; ils ont compris qu’un caprice n’est point l’amour, et l’on ne s’expose pas deux fois à un naufrage où le bonheur peut périr.


HENRI RIVIÈRE.