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sentait venir. Si douces que lui fussent les paroles du jeune homme, elle écoutait aussi cette autre voix de l’orgueil et de l’honneur qui s’élevait en elle. Elle se fortifiait par l’idée même du renoncement qu’elle s’imposait, et jugeait Victor assez grand pour la comprendre et pour se soumettre au sacrifice qu’elle allait réclamer de lui. Victor, la voyant sérieuse et pensive, devança le coup. Il cessa ses protestations et ses prières et lui dit : Vous ne m’aimez plus!

— Oh! fit Laurence.

Son visage se contracta si violemment que Victor s’en émut.

— Je vous aime, reprit-elle ; mais vous ne pouvez exiger que j’aille au-delà de cet aveu. Je ne le dois pas, et, puisque vous m’aimez, vous ne devez point vouloir que j’oublie ce que mon mari a fait pour moi. Je veux rester digne de vous, et je ne le serais plus.

Ses traits étaient empreints de tant de noblesse, tout en elle accusait une telle confiance dans la loyauté de Victor que celui-ci n’eut qu’un mot à répondre : — Ah ! je souffre trop, il faut que je parte.

— Eh bien ! oui, fit résolument Laurence.

— Je partirai, dit-il en courbant la tête.

Ils se turent comme accablés de la courageuse résolution qu’ils venaient de prendre. Il semblait qu’elle leur pesât et qu’ils cherchassent s’il ne pouvait pas y avoir quelque accommodement avec cette extrémité. Enhardi par la mélancolie de Laurence, Victor regarda tendrement la jeune femme et lui dit : — Laurence, puisque je dois partir, pourquoi me refuseriez-vous maintenant cette dernière entrevue que je vous demandais pour ce soir? Nous ne nous verrons seuls que pour nous faire nos adieux; mais au moins je ne partirai pas en étranger. Je pourrai, une seule fois dans ma vie, vous serrer sur mon cœur. Vous savez bien que je vous obéirai en toute chose et que vous n’avez rien à redouter.

— Vous me le promettez?

— Je vous le jure.

— Je le veux bien alors, dit-elle.

C’était là un compromis que Laurence envisageait sans crainte. Victor seul en entrevoyait les conséquences possibles ; mais fatigué de remords, d’indécision et de lutte, gagné par une sorte de vertige, il ne voulait plus que marcher à une solution, quelque fatale qu’elle pût être.

Maxime survint au moment où Victor, en se retirant, saluait Mme d’Hérelles. Il ne dit rien à sa femme, et Laurence, sûre d’elle-même et se croyant sûre de Victor, n’eut aucun de ces pressentimens qui l’eussent autrefois portée à se confier à son mari.

Quelques instans avant le dîner, Victor rencontra Gabrielle dans