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qu’elle connaissait. Certes, si elle le comparait à Maxime, il n’avait ni son élégante régularité de traits ni sa parfaite distinction : sa tête, aux cheveux coupés ras, toute hâlée par le vent et le soleil, était éclairée par des yeux pleins de flamme ; mais son corps, quoique d’une grande liberté de mouvemens, était trapu, presque gros. Victor, au premier abord, s’éloignait tellement du chevaleresque idéal de Laurence qu’elle s’était contentée de lui accorder son amitié. Ce sentiment était d’autant plus naturel que les premiers soins du marin avaient été pour Gabrielle. Peu à peu toutefois l’opinion qu’elle s’était formée à l’égard de Victor avait changé : par instans elle avait surpris en lui cette magie du regard où revivent toutes les émotions de l’âme et la séduction d’une voix sympathique et vibrante. Elle s’était aperçue qu’il avait une instruction aussi variée qu’étendue, l’imagination poétique, un caractère énergique et fier. Pendant cette soirée, en voyant éclater en lui tant de jeunesse et de sève, elle l’appréciait enfin à sa valeur et s’étonnait de s’être jusque-là ainsi trompée. Elle souffrait presque de n’être rien pour cet homme que grandissait encore à ses yeux son amour-propre froissé. En ce moment, Maxime, qui tenait à faire briller son ami, le priait de raconter une belle action accomplie par lui, et qu’il omettait à dessein. Il s’agissait d’un matelot blessé que, lors d’une affaire assez chaude où l’on battait en retraite, Victor avait relevé sur le champ de bataille et rapporté jusqu’au camp.

— Et, dit Victor en terminant, il était temps que j’arrivasse, car mon homme était fort lourd.

— Victor n’en eût pourtant rien dit, si je n’eusse été là pour l’y forcer, fit Maxime.

— C’est bien d’être modeste, dit à son tour Mme Dorvon; mais c’est mal de priver vos amis d’une occasion de vous mieux aimer.

— Oh! dans ce cas, madame, reprit Victor, je suis bien reconnaissant à Maxime.

— Et tu as bien raison, dit Maxime en riant. — Il se leva, et, s’adressant à Laurence : — Je rentre, ajouta-t-il, et vous ?

— Tout à l’heure, répondit Laurence.

Pendant que Victor terminait son récit, elle n’avait pas prononcé un seul mot. Au moment où son mari s’éloignait, elle s’écarta, les larmes aux yeux, avec un léger tremblement. Mille pensées confuses s’agitaient en elle. Souffrait-elle donc ainsi parce que le seul homme qu’elle estimât digne d’elle s’occupait d’une autre? Cela était triste et puéril. Elle s’approcha d’un rosier, et, avec un mouvement de brusquerie fiévreuse, cueillit une rose. Aussitôt elle poussa un cri et retira sa main tout ensanglantée. Au cri de Laurence, Gabrielle et Victor coururent à elle….. Gabrielle enveloppa de