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ne manquait jamais l’occasion que pouvaient lui offrir les causeries de salon d’attaquer au défaut de la cuirasse le chevalier de mon choix. Souvent même il se contentait de mettre mes grands hommes aux prises les uns avec les autres, et il suffisait de ce combat pour que leur prétendue invulnérabilité ne fût plus que néant à mes yeux. J’étais parfois si dépitée que je m’attachais, pour la faire triompher, à une qualité purement extérieure; mais là encore Maxime avait le dessus. A moins de lui faire un crime, ce qui eut été absurde, de n’avoir plus vingt ans, il était l’homme le plus élégant de ton, de mise, de manières, et, pour descendre à des enfantillages, quand il valsait avec moi dans l’intimité, le meilleur danseur que je connusse. On dirait qu’il tient à honneur de sortir victorieux des tentatives vraiment folles où je l’engage, et je viens de m’apercevoir que je jouais un jeu méchant et dangereux. On a fait grand bruit dernièrement du mérite de sporstman du comte de V... En me promenant à cheval aux Chênes avec Maxime, je lui parlais avec un peu d’insistance taquine d’un fossé très large que le comte avait franchi. Justement il y avait devant nous, non point un fossé, mais un mur en pierres sèches de près de deux mètres de haut, un vrai casse-cou. Maxime, sans me répondre, fit un temps de galop, rassembla son cheval, l’enleva et disparut de l’autre côté du mur. Je le rejoignis par une coupure, mais j’étais pâle, tremblante et honteuse de moi.

Après cette longue lettre que je viens de t’écrire, je ne sais encore que conclure. Il y a dans l’Arioste, au pays fabuleux où il place les aventures de ses héros, un grand et vilain géant qui sort chaque matin de son château pour détrousser ou rançonner les voyageurs. De preux paladins viennent combattre ce brigand: mais le géant est aussi un enchanteur, et c’est en vain qu’on le taille en pièces à grands coups d’épée. Toutes les parties de son corps se rejoignent un moment après qu’on les a séparées : les jambes et les bras se rattachent au tronc, la tête se replace d’elle-même sur les épaules. Le seul moyen de s’en emparer est de lui arracher un cheveu caché au plus épais de sa rousse chevelure. Eh bien ! sur la tête de la plus jolie et de la meilleure des femmes, blonde ou brune, il est un cheveu que l’on appelle plaisamment le cheveu du diable, car c’est celui que le malin tire quand il veut nous entraîner à quelque folle aventure. Il faudrait m’arracher ce cheveu-là; mais j’ignore malheureusement où il se trouve. Aide-moi donc à le chercher. A nous deux, nous réussirons peut-être.

P.-S. Dis-moi donc si ton mari est entièrement rétabli; ta dernière lettre m’a laissé quelques inquiétudes sur sa santé. Rassure-moi tout à fait.