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qu’elle m’aperçut, elle se jeta en pleurant dans mes bras. J’étais devenu un ami pour elle. Je me sentis les yeux humides, et je frissonnai de la tête aux pieds.

— Et que comptez-vous faire? lui dis-je. — Je travaillerai. — N’avez-vous point quelques ressources? — J’ai deux cents francs qui me reviennent de la pension de ma mère. — Et c’est là tout? — — Oui. — Vous n’avez aucun parent auquel je puisse vous conduire? — Non. — Point d’amie? — J’en avais une; mais il y a quatre ans que je n’ai reçu de ses nouvelles. Elle m’aura peut-être oubliée.

Je sortis attendri, bouleversé, et n’osant me livrer à la pensée qui m’était venue. Cette pensée, cher ami, vous l’avez devinée, c’était d’épouser Laurence. Dieu, qui l’avait placée si inopinément sur mon chemin, ne me destinait-il pas à être son protecteur? Mais je songeais à mon âge, et je m’effrayais. Elle a vingt ans à peine et j’en ai quarante-trois! J’étais trop vieux... Cependant fallait-il l’abandonner seule et sans défense aux embarras, aux dangers de la vie? Et si je ne l’abandonnais pas, à quel titre, sans l’épouser, pouvais-je veiller sur elle? J’étais fort perplexe encore au moment où je retournai chez Mlle Rebens. J’ignorais ce que j’allais y faire, mais j’avais besoin de la voir. Laurence était triste. — J’ai écrit à mon amie, fit-elle. Je lui demande de m’accorder un asile dans sa maison pour quelques jours. Gabrielle est bonne, et j’espère qu’elle ne me refusera pas... Mais, quoi qu’il arrive, continuâ-t-elle d’un ton grave sous lequel se devinait une arrière-pensée qu’elle voulait me cacher, je vous remercie de ce que vous avez fait pour ma pauvre mère, et je vous en garderai une éternelle reconnaissance. — En prononçant ces mots, elle se détourna à demi. C’était un congé qu’elle me donnait. Je ne pouvais en effet, sans alarmer ses susceptibilités de jeune fille, me mêler plus longtemps à son existence. Il y avait dans toute sa personne une tristesse si vraie, une dignité si simple, que je ne fus plus maître de moi. — Mademoiselle, lui ai-je dit, il est un moyen de ne nous point quitter : voulez-vous être ma femme? — Laurence a rougi, a pâli. — Moi, votre femme! a-t-elle répondu. Moi, dites-vous? — Oui, je sais que je suis bien âgé pour vous; mais je suis seul au monde, vous serez tout dans ma vie, j’aurai pour vous l’affection la plus tendre. — Elle est restée quelques instans sans me répondre, le sein palpitant, les yeux baissés. — Monsieur d’Hérelles, a-t-elle dit enfin, permettez-moi de ne vous rien répondre encore. Laissez-moi quelques jours pour réfléchir.

Voilà où j’en suis, Victor. Je ne me repens point de ce que j’ai fait; loin de là, par instans j’ai peur qu’elle ne refuse. Serais-je amoureux de Laurence? Je l’ai été de tant de femmes que cela ne