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Mlle Rebens, mais peu à peu on s’éloigna d’elles. Les mères évitèrent pour leurs filles la société d’une jeune personne que sa pauvreté mettait dans une position subalterne et peut-être dangereuse. Jamais pourtant le plus léger bruit n’effleura la réputation de ces deux femmes, qui vivaient dans une retraite absolue. Un jour elles quittèrent Toulon sans que personne le sût, et nul ne s’inquiéta depuis de ce qu’elles avaient pu devenir.

Il y a huit jours environ, quelques affaires de succession, que je n’ai pu complètement terminer qu’avant-hier, m’appelèrent au petit village d’Oullins, près de Lyon. J’avais grande hâte de retourner aux Chênes : aussi, dès que je fus libre, je songeai à partir; mais il était trop tard pour que je pusse revenir en ville et prendre le chemin de fer, et je dus remettre mon départ au lendemain. Le soir, après mon dîner, je me promenais dans la campagne, à l’extrémité du village, lorsque tout à coup j’entendis des cris perçans partir d’une maison isolée sur le bord de la route. J’entrai aussitôt, et j’arrivai au deuxième étage sans avoir rencontré personne, me dirigeant à tâtons dans l’obscurité vers l’endroit d’où les cris partaient. J’aperçus enfin une faible lueur à travers les fissures d’une porte; je tournai précipitamment la clé et me trouvai dans une mansarde. Devant moi, sur son fit de mort, une femme venait d’expirer, la mère sans doute d’une jeune fille à genoux près d’elle et dont la douleur éclatait en sanglots.

La jeune fille ne se doutait pas de ma présence et n’avait pas fait un mouvement. Je ne la voyais que de dos, tandis que la lumière posée près du lit éclairait le visage de la morte. Les traits de cette femme, que je considérais avec curiosité, ne m’étaient point inconnus, bien que je ne pusse me rappeler où je l’avais vue. Je m’approchai et j’adressai quelques paroles de consolation à la jeune fille, qui se retourna. Sa douleur était si vive qu’elle me vit d’abord sans étonnement et presque sans comprendre ce que je lui disais: mais, après m’avoir regardé, elle se leva soudain et se cacha la figure dans les mains. — Monsieur d’Hérelles ! dit-elle. Monsieur d’Hérelles !

C’était Laurence Rebens que j’avais devant moi. Son trouble fut de courte durée. Après ce premier moment donné à la surprise et peut-être à la confusion de me revoir ainsi à l’improviste, elle me montra le lit du doigt et me dit simplement : — Ma mère !

Ce seul mot la rendit à sa douleur. Elle s’agenouilla de nouveau et, silencieusement cette fois, se remit à pleurer. Presque au même instant une vieille paysanne parut sur le seuil de la chambre. Je prévins ses questions en lui expliquant comment j’étais accouru aux cris de Laurence. — Oh! oui, me dit cette femme, j’avais été recon-