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n’adopte pas, elle le discute au moins. N’est-ce pas là pour nous une épreuve des plus utiles? À ce titre, il nous importe de connaître comment les auteurs de l’Annuaire statistique de l’Italie jugent la nation française. Ils lui assignent, comme traits principaux, «un esprit qui allie la précision avec la recherche des généralités, une humeur facile, incompatible avec l’austère orgueil que demande la liberté, une horreur de la solitude qui efface les personnalités et une recherche de la société qui rend presque ridicule tout caractère fortement accusé, — l’amour de la symétrie, même dans les lettres et dans les arts, — le besoin de la contradiction et en même temps la passion de l’autorité, l’aptitude à faire de grandes choses à la condition de recevoir une forte impulsion. » Avec ces dispositions, disent-ils, les Français devaient naturellement « inscrire dans leurs constitutions l’admissibilité de tous à toutes les charges, et ensuite subir la tyrannie du règlement... La France en effet fut la terre classique de la centralisation... Les gouvernemens changent en France, la centralisation ne change pas. » Sans chercher à faire, comme contre-partie de ce tableau, une peinture du peuple italien, nous apercevons dans le caractère de ce peuple deux traits qui se dessinent nettement. C’est d’abord une grande habileté dans le maniement des intérêts et des esprits. S’agit-il seulement de discuter, les Italiens se laissent aller au plaisir de développer dans leur belle langue et d’épuiser jusqu’au dernier tous les sujets qu’une question peut soulever; s’agit-il de prendre un parti, ils savent se borner au nécessaire, ils savent obtenir, par de prudentes concessions, le résultat qu’ils désirent. Cette politique qui ne dédaigne pas les moyens détournés, qui prévoit les occasions avec un soin perspicace et les attend ensuite avec patience, qui sait que toute cause et tout effet commencent par être petits avant de devenir grands, et qu’il est ainsi facile, en s’y prenant de loin, de préparer les succès et d’étouffer les obstacles, cette politique, disons-nous, est née autrefois en Italie et s’y est perpétuée. Une autre particularité qu’on distingue dans le caractère des Italiens explique l’impression que nous faisons sur eux : les Italiens, quoique très sociables, ne laissent pas leur personnalité s’effacer dans le milieu où ils vivent; ils ne sont point sujets aux engouemens de la mode et ne connaissent guère le ridicule; ils restent originaux; ils vivent et pensent à leur guise. Cette disposition, très facile à reconnaître dans leur vie privée, se retrouve aussi dans leur vie publique. Alors même qu’elle serait atténuée par les nouvelles conditions où ils se voient placés, elle persistera suffisamment pour donner à l’existence nationale beaucoup d’activité et de variété. Quoi qu’il en soit d’ailleurs, et pour rentrer dans le domaine des faits.