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ment des âmes. Ainsi le monde antique, las de plaisirs, d’orgueil, de science, se prenait en pitié par la bouche de son plus noble interprète. Tout ce qui avait été l’idole de la Grèce et de Rome descendait peu à peu dans le mépris. Par une sorte de juste expiation, le découragement que le despotisme impérial avait répandu dans le monde remonta jusqu’à l’innocent héritier de ce pouvoir accablant, et ce fut un empereur qui recueillit et concentra dans son âme tous ces dégoûts de la vie. Dans ce désabusement, on comprit mieux le prix de la vie intérieure, on fut moins citoyen pour être plus homme, on trouva un secours et des consolations dans la loi morale, on s’attacha à des vérités éternelles confusément entrevues, on s’inclina avec humilité devant la raison universelle, c’est-à-dire devant le seul Dieu qu’on pût imaginer. Les âmes flottantes, si du moins il y en eut beaucoup de semblables à celle de Marc-Aurèle, se sentaient attirées à l’amour divin, et, avant de rencontrer Dieu, étaient déjà saisies par la piété.

Le christianisme ne sortit pas, comme on l’a prétendu, de ce mouvement des esprits, mais il devait à la longue en profiter. Il ne s’accomplit pas dans le monde une grande révolution morale qui ne soit préparée, et les plus belles vérités passent devant les hommes sans les pénétrer, s’ils n’ont déjà le cœur ouvert pour les recevoir. Les pères de l’église qui ont été bien plus justes qu’on ne l’a été depuis envers la philosophie profane, qui ne craignaient pas de rendre hommage à la sagesse humaine et ne pensaient pas qu’elle fût l’ennemie de la loi divine, les pères ont reconnu que la philosophie antique avait été une véritable préparation à la foi chrétienne. Ils admettaient un christianisme naturel que Tertullien appelle testimonium animœ naturaliter christianœ, ils donnaient le nom de chrétien à des sages tels que Socrate, qui avaient comme marché à la rencontre de la raison éternelle et du Verbe divin; ils osaient dire, ces généreux adversaires, que Dieu avait suscité des philosophes parmi les païens comme il avait donné des prophètes aux Juifs pour les sauver. Aujourd’hui ces beaux sentimens de la primitive église ne sont plus suivis, et les plus honnêtes défenseurs de la foi s’imaginent, on ne sait pourquoi, que le discrédit de la sagesse ancienne importe à la religion ; ils se font un pieux devoir de rabaisser les sages de l’antiquité païenne, de choisir surtout les plus nobles pour les immoler sur l’autel, comme s’ils avaient la pensée que, plus la victime est belle, plus l’holocauste est agréable à Dieu.

Pour nous, qui ne croyons pas juste de demander à un sage païen des vérités qu’il ignore et qu’il ne peut donner, nous nous laissons simplement aller à la sympathie respectueuse que nous inspire un