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et le gorille, sont les représentans actuels. Posée dans une église chrétienne, la question produisit une certaine sensation ; mais nul ne se récria, car la libre discussion est l’essence même d’un peuple et d’une religion affranchis du joug de l’autorité. Parmi les auditeurs se trouvait le professeur Hengstenberg, le fougueux prédicateur de la cour de Berlin : apôtre du piétisme le plus exagéré, c’est lui qui a poussé le roi de Prusse dans la voie funeste où il s’est engagé ; mais, comme le dit Hegel, toutes les antinomies finissent par se résoudre, et l’on peut voir sur le livre des étrangers aux eaux de Poschiavo, près de Samaden, les noms de MM. Vogt et Hengstenberg unis par une fraternelle accolade. C’est la réconciliation momentanée du piétisme le plus étroit avec le matérialisme le plus radical ; c’est le rapprochement de deux antipodes intellectuels.

Après cette séance d’ouverture, M. de Planta reçut la société à sa table hospitalière ; puis soixante-deux voitures appartenant aux habitans de Samaden et des environs transportèrent les invités au pied du magnifique glacier de Morteratsch. Le joyeux convoi traversa d’abord la vallée et le joli village de Pontresina, dont les fenêtres regorgeaient de geranium, de pelargonium et de petunia magnifiques ; longeant ensuite une ancienne moraine couverte de mélèzes, nous arrivâmes au pied de l’escarpement terminal du glacier, Descendu des sommets du Bernina, ce glacier transporte d’énormes blocs de pierre, détachés de la montagne ; quelques-uns, parvenus à l’extrémité, roulent du haut de ce rempart de glace et tombent dans le lit du torrent, alimenté par la fonte du glacier. Quelques savans italiens ont émis récemment l’opinion que les lacs du revers méridional des Alpes, le Lac-Majeur, celui de Lugano, le lac de Côme et ceux d’Iseo et de Garde, avaient été creusés par les immenses glaciers qui, à une époque géologique relativement récente, sont descendus dans les plaines de l’Italie. L’action de ces glaciers gigantesques, dont ceux que nous voyons sont encore les restes, est identique à celle des glaciers actuels ; l’échelle seule des effets produits est réduite proportionnellement à la grandeur des agens. Si donc ces anciens glaciers ont creusé des lacs, les glaciers actuels doivent en creuser aussi. Or le glacier de Morteratsch repose, à son extrémité terminale, sur une nappe de cailloux roulés par le torrent qui, coulant d’abord sous la glace, apparaît au jour en aval de l’escarpement terminal. Plusieurs membres remarquèrent, avec M. Desor, que le glacier ne creuse pas la nappe diluviale qu’il pourrait si facilement entamer. Il se tient au-dessus de cette nappe ; un intervalle existe toujours entre la glace et les cailloux. Il y a plus, le glacier passe même par-dessus les blocs tombés du haut de l’escarpement dans le lit du torrent. Ainsi donc un glacier