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qu’elles connaissent, sans se laisser rebuter par son insensibilité, et pour le seul plaisir de s’immoler à ses lois.

Cet optimisme religieux, ce parfait abandon paraît surtout dans les pensées de Marc-Aurèle sur la mort, qui remplissent ce livre et lui donnent un certain intérêt dramatique. On y voit partout que l’empereur, affaibli par l’âge et par la maladie, se sent en présence de la mort, qu’il s’exerce à l’envisager sans trouble, qu’il s’accoutume à elle et se prépare à lui faire bon accueil. Son manuel est plus encore une préparation à la mort qu’un recueil de préceptes pour la vie. S’il se hâte de purifier son âme, c’est qu’il lui reste peu de temps à vivre; s’il cherche à se détacher entièrement du monde, c’est qu’il veut pouvoir offrir à Dieu, au dernier moment, une soumission sans regrets. Selon lui, il faut remplir avec noblesse, avec dignité, avec une irréprochable correction toutes les fonctions morales que la raison divine nous impose et particulièrement la dernière de toutes, qui est de bien mourir. Il arrive ainsi peu à peu à se rendre le plus doux des hommes envers la mort. Et pourtant la doctrine stoïcienne ne lui permet de rien espérer au-delà de cette vie, si ce n’est une durée inconsciente dans le sein du grand tout. Cette froide et peu consolante doctrine à laquelle il a donné sa foi, et qu’il regarde comme la raison et la vérité mêmes, ne laisse pas quelquefois de paraître insuffisante à cette âme si avide de justice et d’amour : «Comment se fait-il que les dieux, qui ont ordonné si bien toutes choses, et avec tant de bonté, pour les hommes, aient négligé un seul point, à savoir que les gens de bien, d’une vertu véritable, qui ont eu pendant leur vie une sorte de commerce avec la Divinité, qui se sont fait aimer d’elle par leur piété, ne revivent pas après leur mort et soient éteints pour jamais? » Il réprime aussitôt ce murmure, mais il en dit assez pour laisser voir que son âme aspire à un autre avenir que la triste immortalité promise par le stoïcisme. Sa foi religieuse s’empresse de s’incliner devant la bonté souveraine qui sait bien ce qu’elle fait et qui ne doit être ni interrogée ni offensée par un doute. Jusque-là les stoïciens aimaient à provoquer la mort avec emphase, avec une sorte de courage insolent; ils couraient au-devant d’elle, et même dans leur soumission aux décrets de la nature il entrait souvent de la jactance ou de l’indifférence théâtrale. Ils méprisaient la mort, ils l’acceptaient en personnages de tragédie. Marc-Aurèle ne se montre pas en héros, il ne témoigne à la vie ni attachement, ni répugnance; il ne parle jamais du moment suprême qu’avec une simplicité placide, il a même coutume de n’employer que les expressions les plus atténuantes qui assimilent la mort aux fonctions les plus simples et les plus ordinaires de la vie. S’il faut partir, dit-il, il partira avec la