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ces libres et paisibles effusions on fait un sujet d’érudition ou de controverse. Ce n’est pas une œuvre de philosophie, mais, si l’on peut dire, de piété stoïque. On ne le comprend que si on le lit avec le cœur. Une âme qui se retire dans la solitude, qui veut oublier les jugemens des hommes, les livres, le monde, qui ne s’entretient qu’avec elle-même et avec Dieu, ne doit pas être l’objet de curiosités vaines. Il y a comme une bienséance morale à l’écouter comme elle parle, avec candeur, à se laisser charmer par son accent. Serait-ce donc se montrer trop profane que d’apporter à la lecture et à l’étude de ce livre si pur quelques-uns des sentimens que nous croyons nécessaires pour bien goûter la mysticité de Gerson ou de Fénelon?

L’antiquité n’a jamais produit un homme qui fût plus naturellement porté vers les méditations morales et plus amoureux du bien. Les circonstances de sa vie, ses parens et ses maîtres, les besoins de son époque aussi bien que son caractère, auraient fait de lui un philosophe de profession, si l’adoption d’Antonin ne l’avait élevé à l’empire. On a quelquefois remarqué dans la biographie des grands docteurs chrétiens qu’ils ont été comme prédestinés à devenir la lumière et l’honneur de l’église, et qu’ils ont eu une sainte enfance. De même Marc-Aurèle semble avoir passé ses premières années à l’ombre du temple, parmi les images de la religion et les enseignemens de la philosophie. A l’âge de huit ans, on l’avait fait entrer par un honneur précoce dans le collège des prêtres de Mars, où il chantait les hymnes consacrés et figurait dans les processions religieuses. Il aurait pu dire, comme le petit Joas :

J’entends chanter de Dieu les grandeurs infinies,
Je vois l’ordre pompeux de ses cérémonies.


A douze ans, il était déjà un néophyte de la philosophie; il adopta les usages austères et le costume des stoïciens, il entra pour ainsi dire dans leur ordre. Malgré sa chétive santé, il couchait sur le plancher, et il fallut les instances et les larmes de sa mère pour qu’il consentît à dormir sur un petit fit couvert de peau. Du reste, sa famille semble avoir pris plaisir à protéger de toutes parts sa naissante vertu et la candeur de ce beau naturel. On ne l’envoya point aux écoles publiques, et il fut élevé dans la maison paternelle, où furent appelés auprès de lui les maîtres les plus célèbres, grammairiens, philosophes, peintres même et musiciens. Il passa une partie de sa jeunesse à la campagne, dans cette noble villa de Lorium, où l’empereur Antonin, son père adoptif, aimait à vivre sans cour, avec ses amis, en simple particulier, tout en remplissant avec fermeté ses devoirs de souverain. Combien l’exemple de ce prince