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grâce pénétrante elles ont trouvée dans leur simplicité nouvelle. Pour que l’exemple en fût plus frappant, la Providence, qui, selon les stoïciens, ne fait rien au hasard, voulut que le modèle de ces simples vertus brillât au milieu de toutes les grandeurs humaines, que la charité fût enseignée par le successeur des sanglans césars et l’humilité par un empereur.

Nous ne venons pas raconter l’histoire, d’ailleurs connue, d’un prince dont Montesquieu a pu dire : « Faites pour un moment abstraction des vérités révélées, cherchez dans toute la nature, et vous n’y trouverez pas de plus grand objet que les Antonins... On sent en soi-même un plaisir secret lorsqu’on parle de cet empereur; on ne peut lire sa vie sans une espèce d’attendrissement. Tel est l’effet qu’elle produit qu’on a meilleure opinion de soi-même parce qu’on a meilleure opinion des hommes. » Bien qu’il soit opportun en tout temps de peindre une si belle vie, il n’entre pas dans notre dessein de toucher à ce règne sans exemple d’un souverain qui se conduisit toujours en sage, qui, sans pédantisme et sans utopie, fit couler dans ses lois, ses règlemens, son administration, les principes rêvés par les philosophes, fut doux autant que ferme, sut faire la guerre sans l’aimer, gouverna le plus immense empire en magistrat d’une république, ne garda du pouvoir suprême que les soucis et les peines, et remplit les plus grands devoirs qui puissent être imposés à un homme, comme on remplit une modeste fonction, simplement, virilement, sans faste, même sans le faste de la vertu. On ne veut voir ici que le moraliste empereur qui, dans son livre des Pensées dévoile ingénument son âme, non pour la montrer au public, mais pour la connaître lui-même, pour en surveiller les faiblesses, pour s’exciter au bien, qui, dans le silence de ses nuits, sans confidens et sans témoins, se faisait comparaître devant sa conscience, méditait sur les grands problèmes de la vie et de la mort, et dont les observations morales, les notes intimes jetées ainsi sur le papier sans ordre, sans suite, selon ses préoccupations du jour, composent aujourd’hui pour nous un des plus aimables livres de l’antiquité, livre unique, qui est à la fois un soliloque souvent sublime et un examen de conscience.

L’examen de conscience n’était pas une coutume nouvelle, et depuis longtemps la philosophie recommandait cet exercice spirituel, qui semble n’avoir été pratiqué avec ferveur que sous l’empire romain. La politique n’offrant plus d’aliment aux esprits ni de matière à l’activité des citoyens, les réflexions morales et les exercices intérieurs de la pensée parurent avoir plus de prix. Le despotisme, en comprimant de toutes parts les âmes, les rejetait, les refoulait sur elles-mêmes. De là vient sans doute que cette vieille prescription