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portent encore des noms identiques à ceux des villes de l’Ombrie, du Latium et de la Campanie : ainsi de nos jours tous les noms des villes de l’Europe prennent place successivement sur la carte des États-Unis d’Amérique ; mais c’est une phrase de Pline qui constitue le plus irrécusable titre de noblesse latine de ces populations primitives. Pline, né à Côme, habitant sur les bords du lac pendant l’été la villa qui porte son nom, voisin par conséquent du pays dont il parle, a dit : Vettones, Cernetani, Lavinii, OEnotrii, Sentinates, Suillates sunt populi de regione Umbria quos Tusci debellarunt. Comment ne pas reconnaître dans ces dénominations les noms des villages engadinois de Fettan, Cernetz, Lavin, Nauders, Sent et Seuol ? Il serait difficile de savoir quels élémens de civilisation les Étrusques ont apportés dans ces montagnes ; mais la culture des champs en terrasse peut être considérée comme un reste des coutumes agricoles de la Toscane. Pendant quatre cents ans, ces populations firent partie de l’empire romain. La langue latine devait nécessairement devenir prédominante parmi des hommes déjà en possession d’un idiome issu de la même souche ; cependant c’est le latin populaire (lingua romana rustica) qui l’emporta. Cinquante mille habitans du canton des Grisons parlent le roman ou grison, c’est-à-dire une langue d’origine latine ayant les plus grandes affinités avec le provençal du midi de la France, les patois de l’Italie, de l’Espagne et le roumain des Valaques sur les bords du Danube. Cette langue possède une littérature ; on l’enseigne dans les écoles concurremment avec l’allemand et le français. Il y a plus, un journal hebdomadaire, Foegl d’Engiadina, contribue à conserver ce curieux spécimen de linguistique archéologique. On me pardonnera cette expression, car les langues sont des monumens plus anciens et plus durables que ceux de pierre ou de bronze ; elles sont aussi plus riches en enseignemens sur l’origine et les vicissitudes des nations. Ces efforts pour perpétuer dans un coin de la Suisse un idiome ancien auront l’approbation des philologues : ils voient avec peine disparaître ces langues de transition qui jettent une si vive lumière sur celles qu’on par le actuellement.

Théodoric appelait la Rhætie le boulevard de l’Italie, et en effet elle est la barrière tour à tour franchie par les envahisseurs de la péninsule et par les armées romaines envoyées pour soumettre le nord de l’Europe. À la chute de l’empire franc, les Magyars et les Sarrasins pénétrèrent dans l’Engadine et s’emparèrent des passages les plus importans. Le nom du village de Pontresina, qui commande la route du Bernina, n’est qu’une altération de Pons Sarracenorum, et celui de la famille Saraz, l’une des principales de Pontresina, n’indique pas moins clairement son origine. Les empereurs d’Allemagne