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par la confiance du roi, ses relations continuelles avec la cour, et le nombre de choses dont il se mêle, où il peut servir ou nuire infiniment aux gens les plus considérables, obtint enfin, à quatre-vingts ans[1], la permission de quitter un si pénible emploi, qu’il avoit le premier ennobli par l’équité, la modestie et le désintéressement avec lequel il l’avoit rempli, sans se relâcher de la plus grande exactitude ni faire de mal que le moins et le plus rarement qu’il lui étoit possible. Aussi étoit-ce un homme d’une grande vertu et d’une grande capacité, qui, dans une place qu’il avoit pour ainsi dire créée, devoit s’attirer la haine publique, et s’acquit pourtant l’estime universelle. » Ailleurs cependant Saint-Simon reproche à La Reynie de s’être noyé dans les détails d’une inquisition qui, comme celle de saint Dominique, « dégénéra en plaie mortifère et en fléau d’état. » Le marquis de Sourches, en louant « son manège, son esprit, sa gravité, » fait remarquer qu’il parlait peu. Il a par contre beaucoup travaillé, beaucoup écrit, et laissé assez de matériaux pour reconstituer en quelque sorte son administration. Ce qui en ressort avec évidence, c’est que, tout en inclinant par caractère aux voies de la douceur, il seconda, avec l’activité minutieuse qu’il portait partout, les vues de Le Tellier et de Louvois dans la révocation de l’édit de Nantes, cette grande faute du règne. On l’eût à la vérité brisé sans pitié, s’il avait osé contrarier l’esprit d’intolérance qui emportait la nation entière; mais il ne l’a pas essayé, se contentant de faire le peu de bien qu’il pouvait, et, comme dit Saint-Simon, le moins de mal possible. Sous ces réserves, on ne saurait, trop louer son intelligence des besoins de la société nouvelle, son dévouement à la chose publique, son zèle, que les glaces de l’âge ne purent refroidir. Le moyen enfin de refuser ses sympathies « à ce magistrat des anciens temps, comme dit encore Saint-Simon, si redoutable aux vrais criminels par ses lumières et sa capacité? » Les magistrats des anciens temps avaient, n’en déplaise à Saint-Simon, moins de vertus et de lumières que ceux du XVIIe siècle; mais l’intention du grand chroniqueur n’en mérite pas moins d’être notée, et l’éloge, avec la signification qu’il lui donne, a une valeur que je ne veux pas lui ôter. Honnête et désintéressé, novateur pratique, ne croyant pas au bien absolu et infatigable à la recherche du mieux, La Reynie est en définitive, sauf, bien entendu, les préjugés économiques et les passions religieuses de son temps, un administrateur digne d’être pris pour modèle, et qu’il y aura toujours gloire à imiter.


PIERRE CLEMENT.

  1. Né en 1625, La Reynie n’avait alors que soixante-douze ans.